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pas à Schelling, mais à Kielmeyer et aux progrès du siècle dans les sciences, notamment en France. Schelling n’est qu’un vulgarisateur. » Plus tard, parlant de la dernière évolution de Schelling, il nous dit : « Schelling a passé de la révélation de la philosophie à la philosophie de la révélation : caractéristique. »

Si Schopenhauer est quelquefois dur pour Schelling, il l’est toujours pour Hegel, et c’est contre lui qu’il a réservé tout le fiel et la violence de sa critique. Il ne tarit pas en boutades piquantes, amères, grossières quelquefois, toujours amusantes, contre ce philosophe, auquel il ne pardonnait pas son règne sans partage sur le monde philosophique. « La philosophie de Hegel, disait-il, est une sagesse de collège, car elle ne contient que des mots, et ce qu’il faut aux jeunes gens, ce sont des mots pour les répéter, les recopier et les rapporter à la maison. — La philosophie de Hegel contient en tout trois quarts de non-sens et un quart de pensée corrompue. Ce qu’il a de plus clair, c’est son intention de gagner la faveur des princes par sa servilité et son orthodoxie. — Pour mystifier les hommes, il n’y a rien de tel que de leur proposer quelque chose dont ils voient clairement qu’ils ne le comprennent pas. — La philosophie de Hegel est un syllogisme crystallisé. — Cet abracadabra, ce wischiwaschu de mots qui, dans leur monstrueuse alliance, imposent à la raison de penser des pensées impensables, paralyse l’entendement. — Lorsqu’un hégélien se contredit de la manière la plus contradictoire, alors il dit : Voilà que le concept a passé dans son contraire! Oh! si cela pouvait regarder les tribunaux! » Il parodiait plaisamment l’emphase avec laquelle les jeunes hégéliens parlaient de l’Idée, et il l’appelait die Uedah! Les prétentions à l’obscurité et à la profondeur de ses grands contemporains lui étaient si odieuses qu’il leur préférait les modestes philosophes allemands du XVIIIe siècle; et les écrits vieillis, mais sans prétention, d’un Reimarus, d’un Garve, d’un Sulzer, nous en apprenaient plus encore, suivant lui, que ceux des trois sophistes et de leurs disciples.

Puisque nous en sommes aux jugemens de Schopenhauer, qui, même quand ils sont injustes et violens, ont toujours une certaine saveur, recueillons dans ses biographes ou dans sa correspondance les opinions exprimées par lui sur les hommes célèbres, grands ou petits, du passé et du présent. Il vit un jour à une vente publique un portrait de Descartes, et fit remarquer à Frauenstædt son air d’honnête homme : « Personne, dit-il, ne peut rien faire de grand sans être honnête. Tous les grands génies ont été honnêtes. « On lui demandait comment il expliquait l’optimisme de Spinoza: «C’est qu’il était juif, dit-il; les juifs, malgré la persécution qui pèse sur