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L’écolier ajoute : « Ici, pour faciliter cette opération difficile, je propose de placer le spectateur entre deux miroirs[1]. »

Fichte ne fut pas le seul philosophe dont Schopenhauer ait suivi les cours à Berlin; il y en avait un autre, non moins célèbre, et qui ne lui était pas moins antipathique : c’était Schleiermacher. Ce qui le repoussait ici, c’était le sentiment religieux, auquel résistait son incrédulité voltairienne. On a conservé également ses notes prises aux cours de Schleiermacher, avec les remarques critiques qui les accompagnent. Quelques-unes témoignent d’un esprit vigoureux et pénétrant. Schleiermacher avait dit dans son cours : « La philosophie a de commun avec la religion la science de Dieu. » Le critique ajoute en note : « S’il en était ainsi, la philosophie devrait supposer le concept de Dieu, tandis qu’au contraire elle doit ou l’acquérir ou le rejeter suivant que la méthode l’exigera, aussi prête à l’un qu’à l’autre. » Schleiermacher disait : « La philosophie et la religion sont inséparables. Nul ne peut être vraiment philosophe sans être religieux, et réciproquement l’homme religieux doit se faire un devoir de philosopher. » A quoi Schopenhauer répond : « Un homme vraiment religieux ne touche pas à la philosophie : il n’en a pas besoin. Réciproquement, aucun homme vraiment philosophe n’est religieux. Il marche sans lisières, à ses risques et périls, mais librement. »

Des trois sophistes ou charlatans, comme il les appelle, c’est Schelling qu’il ménage le plus et dont il paraît avoir fait le plus de cas. « Bruno, Spinoza et Schelling, dit-il, nous ont appris que tout est un; mais en quoi consiste cet un? C’est moi qui l’ai dit le premier. » Son disciple Frauenstædt avait fait un article sur Schelling. Schopenhauer lui répond : « Mille remercîmens pour votre article sur Schelling. Tout ce que vous dites est vrai, mais vous n’êtes pas juste envers lui; vous taisez le bien. Malgré toutes ses farces (Possen), et celles plus grandes encore de ses disciples, il a cependant perfectionné l’intelligence de la nature; c’est pourquoi j’ai toujours beaucoup loué en lui. » Cependant, malgré cette part faite à l’équité, il ne le ménage guère : « Les philosophes de la nature, écrivait-il dès 1808, sont une classe particulière de fous. Il y a des fous de nature (Naturnarren) comme il y a des fous de toilette, des fous de chevaux, des fous de livres (Kleidernarren, Pferdenarren, Büchernarren)... Les doctrines propres de Schelling, l’intuition intellectuelle de l’absolu, l’idéalité de l’idéal et du réel, sont des rêves sans fondement... Au reste, cette philosophie de la nature n’appartient

  1. Au lieu de Wissenschaftlehre (science de la science), qui était le nom de la philosophie de Fichte, il proposait de lire : Wissenschaftleere (le vide de la science}.