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naturaliste et anthropologiste Blumenbach ; dans la seconde, il reçut son premier enseignement de Schultze, le célèbre auteur d’Énésidème. Ce fut son initiation à la vie philosophique.


II.

La philosophie de Schopenhauer a conservé la trace de ses premières études médicales et physiologiques. Il n’a jamais séparé la philosophie de la physiologie ; mais il faisait peu de cas des physiologistes allemands et recommandait surtout la lecture des physiologistes français. Voici ce qu’il écrivait plus tard à ce sujet à son ami Frauenstædt : « Il y a un certain V..., lui dit-il, qui a l’insolence de traiter de superficiels les immortels écrits de Bichat, et sur ce jugement on se croit dispensé de la lecture de Bichat et de Cabanis... Mais, je vous le dis, si Bichat crachait à la figure de ce sieur V..., il lui ferait encore beaucoup d’honneur. Bichat n’a vécu que trente ans; voilà bientôt soixante ans qu’il est mort, et toute l’Europe lettrée honore son nom et lit ses écrits. Sur cinquante millions de bipèdes, on ne trouve pas encore une tête pensante comme celle de Bichat. Sans doute, après lui, la physiologie a fait des progrès, non par des Allemands[1], mais par Magendie, Flourens, Ch. Bell, et non de manière à faire oublier Cabanis et Bichat. » — Dans une autre lettre, il disait : « Je vous en prie, n’écrivez rien sur la physiologie dans son rapport avec la psychologie sans avoir pris le suc et le sang de Cabanis et de Bichat. Au contraire, vous pouvez laisser sans les lire cent barbouilleurs allemands. En général il n’y a pas de psychologie, parce qu’il n’y a pas de psyché, d’âme, et que l’on ne doit point étudier l’homme pour lui-même, mais seulement dans son rapport avec le monde, microcosme et macrocosme tout ensemble, ainsi que je l’ai fait, et assurez-vous d’abord si vous possédez bien votre physiologie, ce qui suppose l’anatomie et la chimie. »

Le professeur Schulze, à qui appartient l’honneur d’avoir introduit Schopenhauer dans les études philosophiques, n’est pas lui-même un inconnu dans l’histoire de la pensée allemande. D’abord attaché à la philosophie de Kant, il s’en était séparé pour retourner au pur scepticisme. Kant, suivant lui, n’avait pas eu raison de D. Hume, et c’est à celui-ci qu’il fallait revenir; comme Jacobi, il a contribué par ses objections à précipiter le mouvement de l’idéalisme allemand. Telle est l’importance de son livre d’Enésidème.

  1. Quelques années plus tard, Schopenhauer eût sans doute modifié son jugement et reconnu la part des physiologistes allemands aux progrès de la science.