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est ce qui au premier abord semble le plus libéral. La loi nouvelle n’accorde pas seulement l’accès des urnes aux contribuables, à côté d’eux elle admet au vote ce qu’elle appelle les capacités. En cela la restauration espagnole semble plus démocratique que la monarchie de juillet, dont les ministres refusaient si obstinément toute adjonction de ce genre. Par malheur, il n’y a là qu’une ressemblance de mots : sous ce nom prétentieux de capacités, l’on désigne d’ordinaire les professions libérales, exigeant plus de connaissances que de fortune, et, par suite, des hommes remuans, ambitieux, qui, dans les pays modernes, forment souvent l’élément le plus impatient, le plus besoigneux, le plus révolutionnaire. En Espagne, il en est tout autrement; il ne s’agit point là d’une sorte de cens de l’intelligence ou de l’instruction substitué au cens de la richesse. Ce que la loi comprend sous le nom de capacités, ce sont presque uniquement les fonctionnaires publics, ce sont les gens en place et non ceux qui en convoitent, et, par suite, ce sont les hommes les plus conservateurs, les plus dévoués, les plus dépendans. Le droit de contrôler les finances publiques et de voter les impôts est concédé en même temps au contribuable qui alimente le trésor et au fonctionnaire qui émarge au budget, en sorte que c’est un égal titre électoral de payer l’impôt et d’en vivre. Au nombre de ces j:apacités divisées en éligibles et non éligibles, selon l’importance de la place ou le taux du traitement, sont compris les plus minces employés, les plus petits commis des administrations gouvernementales, provinciales, municipales.

Dans un pays où le manque d’industrie et les préjugés traditionnels, où la routine et la paresse dirigent vers les emplois publics, aux dépens des carrières productives, toutes les ambitions et les convoitises, une telle législation électorale n’est point sans inconvénient. En Espagne plus encore que chez nous, la manie bureaucratique est un des principaux fermens des révolutions, chaque parti ayant à caser tout un état-major de fonctionnaires et une armée d’employés. Dans une comédie appelée El gran filon, un écrivain contemporain a vivement décrit cette passion de ses compatriotes, qui, voyant dans les emplois publics la mine la plus accessible et la plus productive, se jettent sur ce riche filon avec la même rapacité que leurs ancêtres sur les mines du Mexique et du Pérou. Contre les adversaires qui convoitent ses dépouilles, les auxiliaires que le gouvernement appelle à la lutte sous le nom de capacités, c’est une sorte de garde prétorienne, c’est la troupe sûre et disciplinée des gens en place. L’intervention dans les luttes électorales de la phalange bureaucratique aurait peu d’importance, si les contribuables armés d’un bulletin se faisaient un devoir de prendre part au combat. Par malheur, il n’en est rien, la constitution a