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librement l’arène électorale, le gouvernement obligerait au moins ses adversaires à combattre avec le scrutin, tandis que, désertant le champ de bataille légal, les partis se réfugient dans les complots, dans les mines sourdes, jusqu’au jour où éclatent insurrections et pronunciamentos. Quand les armes permises sont ainsi faussées, que les règles des joutes politiques sont iniquement violées et que le juge du camp est manifestement déloyal, les adversaires recourent aux moyens prohibés, aux surprises, à la ruse, aux guet-apens. Ainsi, en Espagne, la corruption électorale, qui enlevait toute valeur morale aux gouvernemens légaux, a été à la fois la cause et l’effet des coups d’état et des pronunciamientos militaires qui, sous le règne de l’oppression légale, s’appelaient les uns les autres. Pour échapper à ce cercle vicieux où elle tourne depuis une quarantaine d’années, il n’y a pour l’Espagne qu’une porte de sortie : la liberté électorale, la sincérité du vote.

Le gouvernement du roi Alphonse semble avoir compris l’erreur des régimes précédens et vouloir renoncer aux traditions corruptrices. Le ministère fait profession de laisser aux élections pleine et entière liberté. Par malheur, de bonnes intentions et de sages paroles ne suffisent point pour extirper des abus presque séculaires. Un gouvernement ne sait pas toujours modérer le zèle de ses agens, et quand il s’agit de son triomphe, l’autorité est rarement très scrupuleuse sur les excès de pouvoir. L’Espagne est cette année en train de procéder à de triples élections, municipales, provinciales, nationales, et pour cette première application de la nouvelle loi électorale, les anciennes plaintes s’élèvent de tous côtés. On a accusé les listes officielles d’inexactitude, on y prétend retrouver des mineurs, des incapables, des femmes, des morts même, et si les morts s’abstiennent dans les villes, ils votent parfois encore, dit-on, dans les villages. Les doléances de l’opposition, jalouse d’atténuer d’avance l’impression de ses défaites, pourraient être regardées comme un calcul, si le cabinet n’avait par quelques fâcheuses mesures donné lui-même du poids aux reproches de ses adversaires. Au milieu des élections municipales, le ministère a destitué le gouverneur de la capitale, homme considérable, longtemps l’un des amis les plus, influons et des auxiliaires les plus zélés du président du conseil dans les luttes des certes. L’impérieux besoin d’unité administrative a beau la justifier, cette brusque résolution fait craindre de la part du cabinet un esprit d’exclusion et des procédés de pression électorale qui, en fermant à ses adversaires la grande route du suffrage, les rejettent comme par le passé dans les noirs sentiers de l’intrigue.

La nouvelle loi électorale n’est peut-être pas non plus sans péril pour la sincérité des élections. Ce que les libéraux lui pourraient reprocher