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comme en France, l’attitude des partis au pouvoir n’a-t-elle pas été exempte de tout reproche, chacun penchant du côté de son principe. Quoi qu’il en soit, ce qu’on doit désirer pour les deux pays, c’est qu’en dépit des opinions extrêmes, les questions religieuses n’y prennent jamais le pas sur les questions politiques, et que la nation ne s’y laisse jamais, comme en Belgique, ranger au nom de l’église sous deux bannières ennemies.


III.

Une constitution dans une monarchie est toujours faite sur le même plan général. Sauf dans le petit royaume de Grèce, le système des deux chambres et des contre-poids est partout en usage, partout le jeu de la machine est plus ou moins analogue. Ce qui chez les divers états diffère le plus dans le mécanisme constitutionnel, ce n’est ni la forme ni les fonctions du double ressort parlementaire, c’est la matière et pour ainsi dire le métal dont ils sont faits. Ce qui met tant de diversité entre des constitutions d’ordinaire si semblables, c’est moins les prérogatives des deux branches du parlement que leur mode de composition, que l’origine des assemblées représentatives. Là est, en tout pays aspirant à la vie politique, la première et la plus grave question. La révolution de 1868 avait donné à l’Espagne le suffrage universel, la restauration de don Alphonse l’a replacée sous le régime du cens. La grande réforme que n’a pas osé tenter en France la majorité de l’assemblée nationale, les certes constituantes l’ont en 1876 accomplie dans la Péninsule. Bien des conservateurs au nord des Pyrénées envieront autant à l’Espagne cette restriction des franchises électorales que l’établissement de la monarchie.

Pour des esprits non prévenus, la solution différente du même problème dans les deux états n’a rien d’inattendu. En prenant sur un point d’une telle importance deux routes opposées, les chambres des deux pays n’ont probablement fait que se conformer aux instincts, si ce n’est aux besoins de leur patrie respective. En Espagne, le suffrage universel, introduit par une révolution sans lendemain, n’avait point eu le temps de s’implanter; en France, après une pratique constante de près d’un tiers de siècle, il avait des racines assez profondes pour ne pouvoir être arraché sans déchirer, sans bouleverser le sol même du pays. Entre les deux états, toute la différence n’était point là : le suffrage universel avait rencontré en France une terre manifestement plus propice, manifestement mieux préparée. A cet égard, le peuple espagnol a vis-à-vis du peuple français deux grandes causes d’infériorité : il est plus ignorant, il est plus