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en congrégation religieuse. Ils sont du reste loin de se cacher; tout récemment, à ses dernières élections, l’académie historique de Madrid admettait dans son sein un père de la compagnie de Jésus. Les mœurs, plus tolérantes que la loi, ne s’opposeront peut-être point à une restauration des ordres monastiques. En tout cas, dans un pays dont les moines ont été si longtemps les vrais souverains et où la vente des biens de mainmorte a été l’œuvre d’une génération encore vivante, la rentrée des ordres religieux sur la scène publique mériterait d’attirer l’attention.

Comme l’Italie, l’Espagne pouvait difficilement rendre à la société laïque le libre usage de ses membres sans rompre violemment les mailles serrées dont l’avait enveloppée le réseau séculaire des institutions monastiques. Aujourd’hui que la révolution est faite, que le sol national est dégagé de tous les liens de la mainmorte, l’érection de nouvelles maisons religieuses semble de longtemps sans danger pour l’indépendance du pouvoir civil ou la richesse de l’état. En pareille matière, la pratique de la liberté paraît assez simple pour qu’on en tente au moins l’expérience. Par malheur, il faut compter avec les préventions des uns et avec les prétentions des autres, avec les imprudences et les ambitions des amis aussi bien qu’avec les appréhensions des adversaires. Tout en étant demeuré fort attaché au catholicisme, le bourgeois espagnol n’est pas sans défiance vis-à-vis d’un clergé qui n’a pas oublié son ancienne puissance. En Espagne comme ailleurs, le profit que certains partis politiques attendent de leur alliance avec elle n’est point sans compromettre l’église. Ce n’est pas toujours sans imprudence que les conservateurs choisissent la religion comme champ de manœuvres, l’église ayant rarement plus à gagner qu’à perdre à se laisser mêler aux luttes politiques. En Espagne, le danger est moindre aujourd’hui ou moins visible qu’en d’autres contrées; il n’en subsiste pas moins. Là comme en tout pays catholique, une des grandes difficultés des gouvernemens modernes est d’assurer la liberté de l’église sans lui abandonner le pouvoir. La difficulté est la même en monarchie et en république, mais le péril est pour chacune d’elles en sens inverse. Pour une monarchie, pour une restauration surtout, naturellement disposée à rallier autour d’elle toutes les forces conservatrices, l’écueil est d’ordinaire trop de condescendance envers l’autorité ecclésiastique, au risque de préparer la chute du trône en le voulant appuyer sur l’autel. Pour une république, pour une démocratie dont le règne est encore contesté, le danger est plutôt dans une défiance excessive et des rigueurs intempestives qui exaltent les passions religieuses, les plus susceptibles et les plus persistantes de toutes. Peut-être, en Espagne