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parti, et la royauté semble résignée d’avance à laisser à l’occasion passer le pouvoir des mains qui ont préparé la restauration aux mains qui l’ont subie. Ce n’est qu’à cette condition, ce n’est qu’en se dégageant des partis qui voudraient le confisquer à leur profit, et en répudiant tout esprit d’exclusion, qu’un régime politique, monarchie ou république, devient vraiment national, et cesse d’être le gouvernement d’une faction pour être celui du pays.

Après deux ans et demi de règne, Alphonse XII en est encore à son premier ministère, car l’on ne saurait compter le court intermède rempli par le général Jovellar; devant la caducité précoce des cabinets républicains, une telle existence semble presque de la longévité. Le cabinet de Madrid a du reste ses difficultés : comme il arrive souvent, les vainqueurs, unis avant la victoire, se divisent après leur triomphe au risque de rendre le succès à leurs communs adversaires. Parmi les hommes qui ont préparé la restauration ont éclaté des dissidences qui, en rompant d’anciens liens politiques, menacent d’accroître le fractionnement des partis déjà si nombreux et si morcelés. L’homme distingué qui est à la tête du conseil des ministres, M. Canovas del Castillo, a voulu fonder, sous le nom de conservateurs libéraux, un grand parti de gouvernement, embrassant les débris des anciens partis ralliés à Isabelle II. Par malheur il n’est pas aisé en politique de gagner du terrain d’un côté sans en perdre de l’autre. M. Canovas del Castillo s’est, par ses infructueuses avances aux modérés historiques, les héritiers de Narvaez, par sa bienveillante indulgence pour les carlistes, aliéné quelques-uns de ses amis. Sous le nom de centralistes s’est formé aux dépens des bataillons ministériels une petite phalange de dissidens qui, si elle ne se joint aux constitutionnels commandés par M. Sagasta, aggravera sur l’étroit champ de bataille la complication et la confusion des manœuvres. Dans cette situation, l’on ne peut dire ce que l’incontestable habileté de son chef doit assurer de durée au premier ministère d’Alphonse XII. Le difficile n’est pas de savoir comment le remplacer. En dehors des amis de la première heure et des fauteurs de la restauration, en dehors du petit groupe dissident du centre ou de ces modérés historiques dont la politique étroite et réactionnaire a provoqué la chute d’Isabelle, la monarchie espagnole a l’avantage d’avoir en face d’elle des hommes à qui le roi peut confier le pouvoir. L’Espagne a dans les conservateurs libéraux de M. Canovas et dans l’ancien parti constitutionnel de M. Sagasta les élémens de deux gouvernemens, de deux cabinets qui, de même qu’en Angleterre les whigs et les tories, pourraient se succéder et alterner régulièrement aux affaires. Pour tout régime, ce serait là une bonne fortune; l’embarras est de savoir comment peut