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Moltke ne s’appliquent à aucun fait saisissable, nouveau ou accompli, ou ayant un sens quelconque, car, s’il y a une puissance au monde qui ne songe pas en ce moment à se jeter dans une aventure, c’est la France. Plus que toute autre nation, la France est disposée à rester neutre, occupée qu’elle est de ses propres affaires. C’est son devoir, c’est son goût. Elle s’est prêtée à toutes les négociations possibles pour arriver à empêcher la guerre, et maintenant que la lutte est ouverte, elle rentre dans son rôle de simple observation, gardant ses relations amicales avec la Russie, fidèle aussi d’esprit à ses traditions de politique occidentale. La France, dans sa situation particulière, avec la mesure spéciale de réserve qu’elle doit s’imposer, est, comme l’Angleterre, comme l’Autriche, comme l’Italie, comme l’Europe, pacifique. Pour toutes ces puissances, la neutralité est le mot d’ordre, et cette neutralité impartiale est la meilleure politique pour limiter la guerre d’abord, pour exercer ensuite à un moment donné, une médiation opportune, rendant enfin la paix à l’Orient, la sécurité à l’Occident.

Certes, si depuis bien des années il y a eu un moment où la France dut veiller sur elle-même, où elle eut besoin de garder son calme intérieur, de réunir toutes ses forces, c’est celui-ci; qui le croirait cependant à voir toutes ces passions, ces polémiques assourdissantes, ces fureurs de parti ou de secte qui se déchaînent à tout propos et sous toutes les formes? Et ceux qui devraient être les plus pacifiques, les plus mesurés ne sont malheureusement pas les derniers à fomenter ces dangereuses agitations. Ainsi, à l’heure où une crise redoutable s’ouvre en Europe, en présence d’événemens où la France peut avoir un rôle délicat et doit mettre le soin le plus attentif à entretenir, à fortifier ses relations, voilà des hommes religieux ou prétendus religieux, des prélats emportés par leur zèle qui ne craignent pas d’entrer en campagne pour protester contre une loi sur les abus du clergé faite en parlement italien, pour demander au gouvernement, aux chambres, d’aller délivrer le saint-père, visiblement captif au Vatican ! Voilà un évêque, celui de Nevers, organisant dans son diocèse un pétitionnement, s’adressant aux maires comme à des auxiliaires presque officiels de sa propagande ! Depuis quelques semaines, ce mouvement a pris, nous ne dirons pas une extension démesurée, mais une sorte de recrudescence fiévreuse. Qu’en peut-il résulter cependant? Ce n’est là évidemment qu’une agitation artificielle qui ne répond à rien et qui ne peut tarder à s’éteindre, d’autant plus qu’en définitive ce sont trois ou quatre évêques, dans l’épiscopat français, qui font tout ce bruit. Si elle pouvait être prise au sérieux, la première conséquence serait que M. le ministre des affaires étrangères devrait aussitôt entrer en explications avec l’Italie pour lui demander de rendre la liberté au pape, de changer ses lois, et comme l’Italie pourrait bien ne pas se prêter à une négociation semblable, on