Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus expressifs que j’aie jamais vus. » Malheureusement pour Godwin, la plume de Southey ne s’est pas arrêtée là. « Quant à Godwin, ajoute le futur poète lauréat, il a de grands et nobles yeux, et un nez! oh! l’abominable nez. Le langage n’a pas assez de termes de blâme pour en décrire l’effet et le prolongement perpendiculaire. » Ces deux êtres qui, tant par leurs théories que leur conduite, avaient bravé l’opinion du monde, se rencontrèrent pour ne plus se séparer, et comme, à ce que prétend un proverbe anglais, il n’est jamais trop tard pour s’amender, ils finirent par en revenir à l’antique et bonne coutume : ils se marièrent un matin de printemps dans l’église de Old-Saint-Pancras. Il faut ajouter que le nouvel époux, fort entêté de ses principes, s’empressa de déclarer à ses fidèles qu’il y tenait autant que jamais malgré cette apparente contradiction, et qu’il ne se sentait pas plus lié qu’avant la cérémonie, déclaration qui n’aurait peut-être pas été du goût de la nouvelle mariée. Au reste, pour mieux prouver à ceux qui le connaissaient l’immutabilité de ses doctrines, il s’en alla demeurer dans une autre maison que sa femme, en haine de ce qu’il appelait la cohabitation. Ce couple original ne se voyait donc que quand il lui plaisait, et remplaçait par la correspondance le commerce de la vie domestique. Tantôt Mme Godwin écrivait à son mari pour lui demander un morceau de Comme élastique, tantôt M. Godwin prévenait sa femme qu’il aurait l’honneur de dîner chez elle. Quant à l’enfant de Gilbert Imlay, Fanny, elle allait de sa mère à son beau-père ; seulement il était recommandé formellement à celui-ci de ne pas donner à la petite fille de beurre avec son pudding.

Cette union, d’ailleurs parfaitement heureuse, ne dura que peu de temps. Mary Godwin mourut au bout d’une année après avoir donné le jour à celle qui devait être l’épouse du poète Shelley. Qu’aurait-il fallu pour que cette femme, vraiment remarquable, laissât dans la littérature anglaise autre chose qu’un souvenir? Elle avait le talent d’observation, comme le prouve sa correspondance; et l’on trouverait dans les Droits de la femme plus d’une ligne éloquente sur l’éducation des enfans. Peut-être ne lui a-t-il manqué que d’avoir rencontré plus tôt Godwin, et de n’avoir jamais rencontré l’Américain Imlay.

La douleur de Godwin fut sincère. Il perdait une compagne de ses travaux qui avait déjà commencé d’exercer sur ses idées une influence heureuse, et qui, si elle avait vécu plus longtemps, lui aurait sauvé les embarras financiers et les méprises dont la seconde moitié de sa carrière fut remplie. Mary Wollstonecraft en effet, bien qu’elle n’eût fait qu’apparaître dans sa vie, y avait laissé cependant des traces de son passage. Elle avait appris une grande leçon à son mari, c’est que l’homme n’est pas une machine dont la