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ces figures de jeune garçon que le roman anglais excelle à peindre, et Dickens eût signé plus d’une des lettres que Tom Cooper écrivait à Godwin. Celui-ci n’était pas un maître toujours facile à contenter. Il avait une façon humiliante de corriger les défauts de son parent, et, de son côté, Tom Cooper n’oubliait rien. Quelquefois même, pour se rafraîchir la mémoire, il couchait ses griefs par écrit, sous forme de mémorandum. Un jour par exemple, sur un bout de papier qu’il laissait traîner à dessein, il traçait les lignes suivantes: « Il (Godwin) m’a appelé… un misérable sot…, en ma présence. Il m’a comparé… à une vipère… Je suis un tigre… en mon absence. Il m’a appelé… une brute… Il veut m’écraser… Croit-il que je me laisserai tranquillement faire ? » Et Godwin, enchanté du « degré de sensibilité » que trahissaient ces notes, prenait la plume et répondait pompeusement à son élève qu’il n’avait qu’un désir qui était de faire de lui un homme vertueux, et que sa haine lui était à ce prix indifférente.

Atteignit-il son but ? Fit-il de ce nouvel Émile l’être sensible et bon qu’il rêvait en fidèle disciple de Rousseau ? Une chose est certaine, c’est qu’il en fit d’abord un mauvais comédien. Avec son assentiment, Tom Cooper se consacra, paraît-il, à la scène. Il fut recommandé au tragédien Kemble, qui lui confia pour commencer un rôle modeste. Il s’agissait de faire partie du cortège de la grande actrice Siddons dans une pièce de Congreve et d’y représenter un personnage muet. Le débutant monta cependant en grade, car il annonce un jour à Godwin qu’il fera dans Macbeth la seconde sorcière. De sorcière, on le voit ensuite retomber sénateur dans Othello, ce qui était une disgrâce, car il n’avait plus rien à dire. Il est vrai que ses fonctions lui rapportaient une guinée par semaine. Par malheur, le soir où Kemble lui avait enfin accordé un rôle plus en rapport avec son ambition, l’infortuné se troubla au dernier vers, perdit la mémoire, manqua la réplique et fut sifflé. Kemble lui déclara qu’il ne ferait jamais rien de bon sur les planches, et Tom Cooper n’en voulut pas croire un mot. Il s’engagea dans une troupe ambulante où il eut même une représentation à son bénéfice, ce qui, par une suite de circonstances déplorables, lui coûta dix livres sterling. À ce compte-là, l’Angleterre lui revenait trop cher ; il finit par partir pour l’Amérique, où longtemps après il donnait encore des représentations à son bénéfice, mais cette fois avec un succès moins illusoire. Ce fut là le premier élève de Godwin. La plupart de ses amis n’étaient pas à cette époque dans une position beaucoup plus brillante. C’était James Marshal, littérateur discret qui faisait des traductions et des index, qui servait de secrétaire à Godwin et partageait avec lui le dernier shilling d’une caisse ordinairement vide. C’était Holcroft, l’auteur comique, qui, n’ayant pas fait fortune au