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C’est si bien un spectacle que Ticknor se donne qu’il ne daigne même pas mentionner le résultat de cette crise ministérielle. C’est encore par curiosité qu’il se fait présenter aux Tuileries. Il s’y rend un soir avec huit ou dix de ses compatriotes accompagnés du général Cass, ministre des États-Unis à Paris. Il y a en outre dans les salles de réception une soixantaine d’Anglais, quelques Autrichiens, des Allemands, des Espagnols, des Italiens et un seul Russe, Tourguénef, qui ose seul braver la mauvaise humeur du tsar contre ceux de ses sujets qui présentent leurs hommages au roi des Français. Lorsque tous ces étrangers sont rangés en ordre sous la conduite de leurs ambassadeurs respectifs, le roi arrive suivi de la reine donnant le bras à la princesse Clémentine, de la duchesse d’Orléans, de Mme Adélaïde et du duc d’Orléans. Ticknor n’avait jamais eu si belle occasion de montrer ses connaissances polyglottiques. Il cause en français avec la reine, en allemand avec la duchesse d’Orléans, en anglais avec Louis-Philippe et avec son fils, qui, par courtoisie, se servent tous deux de cette langue quand ils s’adressent à des Anglais ou à des Américains. En sortant, il laisse voir que cette cour bourgeoise ne lui déplaît pas ; il y trouve de la bonhomie et de la bienveillance, et il n’ignore pas que les vertus privées dont il fait le plus grand cas y sont en honneur.

En somme, il déclare qu’il aurait été tout à fait content de son hiver passé à Paris si l’on y avait moins parlé politique. A part quelques salons philosophiques ou littéraires, comme ceux de Jomard, de Gérando, de Jouy, il a va partout que les opinions politiques décident que l’on ira dans telle maison et que l’on n’ira pas dans telle autre. Selon lui, il y a trop de partis en France. Il n’en voudrait que deux, à l’instar de l’Angleterre et des États-Unis. Aussi croit-il que tout est chez nous dans un état de transition, le gouvernement, la société, la littérature, même la morale et la religion. Il ajoute, en quoi il se montre prévoyant, que cette situation durera plus longtemps que lui. Ce qu’il n’a pas compris, c’est que ce mouvement presque révolutionnaire des idées, cette agitation perpétuelle des hommes et des choses sont notre vie naturelle et que nous y pouvons vivre calmes et prospères.

Rassasiés de plaisirs par trois années de pérégrinations à travers l’Europe, avides de rentrer dans leur pays natal après une si longue absence, nos touristes américains n’attendaient que le retour de la belle saison pour franchir de nouveau l’Atlantique. En attendant, ils voulaient voir une dernière fois l’Angleterre et parcourir l’Ecosse. Ticknor était trop bon patriote pour ne pas se sentir joyeux en remettant le pied sur la terre où l’on parle anglais. Tout lui semble beau dans les îles britanniques, en dépit du froid et du brouillard. Les routes y sont meilleures, les chevaux de poste plus alertes, les