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Marie-Louise. Metternich y occupait un hôtel dans les jardins du palais. La princesse, quoique affligée par la mort toute récente d’un jeune enfant, n’avait pu se soustraire à la triste nécessité d’en faire les honneurs, ce salon étant en quelque sorte l’un des organes du gouvernement. Elle était gracieuse, au reste, avec une nuance de naïveté que le voyageur s’étonne un peu de rencontrer dans le monde diplomatique. « Je n’aime pas les libéraux en Europe, lui dit-elle; en Amérique, c’est différent. Votre gouvernement est démocratique; c’est un devoir d’y être libéral. » Quelques jours plus tard, dans une autre soirée, il y eut tout à coup une alerte. Un secrétaire annonçait à l’improviste que le roi de Naples daignait rendre visite au premier ministre. Un citoyen des États-Unis n’avait nulle raison de désirer une entrevue avec ce jeune souverain. Quel contraste entre la face blême, la mine niaise et vulgaire de ce triste roi et le grand air de l’imposant chancelier! Ticknor s’en retourna toutefois satisfait. Metternich l’avait invité à dîner pour le vendredi suivant, quatre heures, en ajoutant par surcroît d’amabilité : « Vous aimez les beaux livres, venez à trois heures, je vous montrerai ma bibliothèque. »

C’était en vérité l’un de ces rendez-vous auxquels un touriste curieux n’a garde de faire défaut. Au jour et à l’heure dits, Ticknor se rencontrait dans l’antichambre ministérielle avec von Hammer. « Vous le connaissez? dit Metternich à son hôte lorsqu’ils furent seuls. C’est un homme extraordinaire en son genre; il est unique en Europe; mais, de même que tous les philologues, il est très querelleur. Ce sont peut-être leurs études qui les rendent si nerveux. J’en ai beaucoup connu; je les ai toujours vus en disputes. » Ceci n’était qu’un prélude, qu’une entrée en matière destinée à fournir au grand ministre le thème de sa dissertation du jour. Il serait trop long de reproduire en entier la conversation qui suivit. On va essayer du moins d’en rendre, par une courte analyse, les saillies, l’esprit général. Le récit de Ticknor a un air d’exactitude qui donne envie de le prendre pour un document historique. Notons au surplus que l’entretien paraît avoir été tenu en français.

« Il n’y a rien de plus important pour un homme que d’être raisonnable et modéré, de ne rien désirer au-delà de ce qu’il peut Accomplir, ajouta Metternich sans attendre une réponse de son interlocuteur. J’ai l’esprit calme, très calme. Je ne me passionne pour rien. Aussi n’ai-je pas de sottises à me reprocher. On prétend que je suis absolu en politique. Cela n’est pas. Il est vrai que je n’aime point la démocratie, qui est, partout et toujours, un principe dissolvant. Cela ne convient pas à mon caractère. Par caractère et par habitude, je suis constructeur. La monarchie est donc le seul gouvernement qui me convienne : la monarchie seule réunit les