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s’étaient battus avec les Prussiens jusqu’à la journée d’Iéna, contre eux quelques mois plus tard, avec les Français pendant la campagne de Russie, et qui, pour finir, étaient venus en France comme ennemis ?

Notre voyageur n’avait assurément aucun préjugé monarchique; aussi doit-il être cru sur parole lorsqu’il fait l’éloge d’une famille souveraine. Au surplus, il n’en juge que par ce qu’il voit ou par ce qu’il entend dire dans le monde qu’il fréquente. On lui raconte qu’en 1830, à la suite des journées de juillet, il y eut à Dresde une petite émeute pour obtenir une constitution avec le régime parlementaire. Le roi n’a pas d’enfans, son frère Maximilien en a deux : l’aîné, Frédéric, qui est héritier présomptif, Maximilien ayant renoncé à la couronne, et Jean, qui monta plus tard sur le trône en 1854. Les insurgés voulaient que le roi abdiquât en faveur de son neveu Frédéric, qui est populaire; celui-ci se hâta de descendre sur la place publique et de déclarer que, si l’on insistait, il quitterait la Saxe pour n’y plus jamais revenir. Là-dessus, il fut nommé régent, et tout se calma. Le roi, octogénaire, n’a pas gardé rancune à ses sujets. S’il donne un bal, le peuple est admis dans la salle principale, séparé des invités par une simple barrière. Ce vieux souverain danse encore malgré son âge; tous les princes sont affables, toutes les princesses sont aimables; le prince Jean est un érudit qui consacre ses loisirs à traduire le Dante. On comprend en définitive que des touristes américains devaient se trouver bien à Dresde, où, malgré quelques coutumes surannées, rien ne choquait ni leurs sentimens, ni leurs opinions.

Il n’en fut pas de même à Berlin. Humboldt s’y trouvait, mais un Humboldt mécontent d’avoir quitté Paris et se promettant d’y retourner au plus tôt. «Vous savez, disait-il en souriant, j’ai fait marché avec le roi, comme font les cantatrices. Il m’accorde trois mois de congé par an pour les passer où je veux, et ce que je veux c’est Paris. » Bien que pensionnaire de la couronne et employé à l’occasion dans les affaires de l’état, ce savant universel éprouvait en outre le désagrément d’être presque seul libéral au milieu d’une cour absolutiste. La Prusse vivait en ce temps sous un régime bien sévère : les livres étaient soumis à la censure, les journaux ne publiaient que ce qui ne déplaisait pas au ministère; la société se divisait en deux partis politiques fort animés l’un contre l’autre. En quarante ans de règne, au milieu des circonstances les plus critiques, le roi Frédéric-Guillaume III s’était si bien identifié avec son peuple qu’aucune insurrection n’était à craindre, lui vivant; mais il était âgé, et, après lui, la Prusse devait-elle renoncer à tout jamais aux institutions représentatives dont jouissaient déjà la Saxe et la Bavière? Les grands changemens introduits dans les lois du