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voyait sortir le manche du couteau qui leur sert à achever les bœufs sauvages ou les sangliers et à les dépecer. Derrière eux s’avançait un peloton de femmes indigènes, c’était l’escorte de Jane. Rien ne saurait rendre l’aspect pittoresque de ce groupe de femmes aux longues draperies de couleurs vives, couronnées d’épaisses torsades de fleurs et de feuilles. Le cou de leurs chevaux était entouré de guirlandes de fougères destinées à les protéger de la chaleur et à écarter d’eux les piqûres des moustiques. Jane, Frank et moi suivions à une certaine distance; des Kanaques, dirigeant devant eux les mules chargées de nos bagages et de nos provisions, fermaient la marche.

Désireux de laisser mes deux compagnons à eux-mêmes, je poussai mon cheval en avant et rejoignis Kimo. Je le connaissais de vue, mais nous n’avions jamais échangé que quelques paroles banales, quand, à Honolulu, j’allais rendre visite à la princesse. Il s’inclina en me voyant, et les deux Kanaques qui étaient auprès de lui ralentirent discrètement le pas de leurs montures pour nous permettre de prendre les devans.

— Impossible d’être plus exact, Kimo; grâce à toi, nous sommes partis à l’heure dite.

— La princesse m’avait donné ses ordres, je les ai exécutés.

— Et il était difficile de les exécuter mieux, repris-je sans m’émouvoir de ce début qui promettait peu. Quand arriverons-nous au volcan ?

— Demain dans l’après-midi, ou le soir, au plus tard.

— Où camperons-nous aujourd’hui?

— A Olaa. Le pâturage y est bon et l’eau fraîche. Nos hommes auront vite fait de vous construire les abris nécessaires pour une nuit. En cette saison, on y trouve en abondance des oies sauvages, et d’ailleurs les provisions ne nous manquent pas.

— Je vois que l’on peut s’en fier à toi. Tu as souvent parcouru ce district.

— Bien souvent ; il en est fait mention dans nos légendes.

— Je sais, par Jane, que tu connais beaucoup de chants anciens. Il en est un surtout qui m’a vivement intéressé, celui de Kiana; tu le sais?

— Oui, et avant-hier j’ai entendu la princesse vous le réciter. J’étais sur la vérandah.

— Alors tu as dû entendre ce qu’elle a répondu à mes questions?

— Oui, reprit-il sans la moindre hésitation. Elle vous a dit que je connaissais la prédiction de Kiana. C’est vrai. Elle a ajouté que je garderais probablement le secret, c’est vrai aussi. J’ai juré à ma mère, comme elle avait juré à la sienne, que ce secret ne serait pas trahi. On ne connaîtra la prédiction de Kiana que le jour où elle s’accomplira... Il s’interrompit et garda le silence quelques instans.