Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vainement tenté de savoir ce qu’il pense à ce sujet ; il se maintient dans un silence respectueux.

— Kimo vous est dévoué, m’avez-vous dit ?

— À la vie et à la mort. Il ne m’a jamais quittée. Sa mère était ma nourrice. Kimo m’accompagne dans toutes mes excursions. Actif, énergique, intelligent, il comprend à demi-mot ; sa probité est à toute épreuve ; quand je suis à Honolulu, c’est lui qui règle mes comptes, dirige mes domestiques. En voyage, c’est un guide sûr, un homme de ressources, vous en jugerez demain. Je lui ai tracé notre itinéraire, cela suffit. Nous pouvons nous en fier à lui pour les détails et nous mettre en route, sûrs que tout est prévu, même l’imprévu.

— C’est un homme précieux… Et il sait la prédiction de Kiana ?

— Je n’en doute pas, mais je doute qu’il vous la dise. Kimo n’a qu’un défaut : il n’aime pas les étrangers. Vous le trouverez poli, respectueux, mais réservé, et si vous réussissez à lui arracher son secret, vous serez bien habile.

— Et pourquoi Kimo n’aime-t-il pas les étrangers ?

— Je ne sais ; Kimo n’aime que moi, et il a pour moi un dévoûment sans bornes. Kimo parle peu, c’est un Kanaque de la vieille roche, concentré, fier de son origine et de sa race, dur à lui-même et aux autres. Ses compatriotes l’estiment et le craignent. Il est très intelligent, très fin, et vous vous heurterez à une résistance inébranlable, je le crois.

Tout cela n’était pas fort encourageant. Je ne m’en promis pas moins à part moi de faire de mon mieux. Frank nous avait écoutés sans mot dire.

Comme la veille, nous allâmes rejoindre notre hôte. La soirée se passa sans incidens, et nous nous séparâmes de bonne heure. Nous devions nous mettre en route le lendemain à la pointe du jour.

Au lever du soleil, notre caravane était en marche. Profitant de la fraîcheur de la matinée, nous avions franchi la clairière et nous atteignions la lisière de la forêt. Nous fîmes une courte halte pour saluer d’un dernier regard la demeure hospitalière que nous venions de quitter. Une brise légère nous apportait les alohas des Kanaques groupés autour de notre hôte. Nous agitâmes nos mouchoirs, et quelques instans après l’ombre silencieuse des bois fermait l’horizon derrière nous. La route s’enfonçait en droite ligne dans un fouillis de verdure. Kimo, entre deux Kanaques, ouvrait la marche. Venaient ensuite des vaqueros montés sur de petits chevaux secs et nerveux. Autour du pommeau de leurs selles mexicaines s’enroulait le lasso de cuir qui ne les quitte jamais et qui est entre leurs mains une arme redoutable. Une hachette courte et luisante brillait à leur ceinture, et de leurs fortes guêtres de cuir on