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années, avec ma sœur qui vivait alors et qu’elle aimait tendrement, elle voulut, malgré mes avis, suivre nos Kanaques qui allaient chasser des bœufs sauvages. Ne pouvant les accompagner, je leur demandai de ne pas se mêler aux chasseurs, de se tenir sur un monticule qui dominait la plaine et d’assister de loin, sans y prendre part, à ces courses dangereuses. Elles me le promirent. Malgré moi, j’étais inquiet, préoccupé. Ayant terminé plus tôt ce qui me retenait à la ferme, je partis dans l’après-midi et gagnai rapidement, par des chemins de traverse, le lieu du rendez-vous. Elles avaient suivi mon conseil, mais, au lieu de mettre pied à terre, elles étaient restées en selle. Leurs chevaux, excités par les cris des vaqueras, par la vue de leurs compagnons qui galopaient dans la plaine et contournaient le monticule, avaient entraîné les deux imprudentes, qui n’en étaient plus maîtresses. Elles n’auraient couru que peu de risques, si elles s’en étaient fiées à l’instinct de leurs montures, dressées de longue date à la poursuite des bœufs, mais elles essayèrent de les diriger, et cela si malencontreusement qu’elles disparurent dans des nuages de poussière au milieu du troupeau affolé. Une chute, un faux pas, elles étaient perdues. Je réussis à les rejoindre. Le sifflement de mon lasso rejeta de droite et de gauche les animaux effrayés, et je parvins à saisir la bride de la monture d’Emma au moment où, presque étouffée par la masse confuse qui s’agitait autour d’elle, elle allait tomber de son cheval, qui lui-même se soutenait à peine. Ma sœur, plus expérimentée, avait pu profiter de ma trouée dans le troupeau pour se dégager et rejoindre mes Kanaques, qui, voyant le danger, me suivaient sans hésiter. Emma m’en a gardé une vive reconnaissance. Depuis son mariage, je ne l’ai pas revue, mais je crois avec vous que, l’occasion se présentant, elle serait heureuse de me venir en aide.

— Et l’occasion se présente. Votre mariage avec Jane ferait de vous son parent et rapprocherait d’elle le frère d’une amie qu’elle regrette. Elle a quelque influence sur Jane, qui l’aime et la respecte, et de ce côté, comme du côté du roi, elle peut être pour vous une alliée précieuse. Je puis aussi vous être utile auprès du roi, vous le savez...

— Merci de vos encouragemens et de votre amitié. Je ferai ce que vous me dites, mais combien il me sera difficile de m’assurer du cœur de Jane !

— Voilà bien les amoureux. Ils ne voient que les obstacles, et lorsqu’ils sont comme vous, Frank, ils se méfient toujours d’eux-mêmes.

— C’est vrai, mais le sort en est jeté, et j’irai jusqu’au bout. Je l’aime trop pour qu’elle ne finisse pas par m’aimer un peu.

Nous étions arrivés au terme de notre excursion, Frank me fit