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— Bien pensé et bien dit, mon ami. Votre tâche est ici, et vous la remplissez de votre mieux, je le sais, et sur ce, je vous le répète, essayez.

— Vous me dites tout haut ce que je n’osais pas me dire tout bas, reprit-il; j’essaierai.

Je serrai affectueusement la main de Frank et nous rejoignîmes notre hôte.

De joyeux éclats de rire accueillirent notre entrée. On prenait le thé. Assise sur une chaise basse auprès du fauteuil du vieillard, dont elle tenait la main dans les siennes, Jane achevait de raconter je ne sais quelle histoire qui l’avait mis en gaîté. Dans le fond de la vaste salle, accoudées sur des nattes, quelques-unes des femmes de la suite de la princesse devisaient joyeusement.

— Je suis d’accord avec votre père, Frank, lui dit-elle. Mon départ n’aura lieu qu’après-demain. Il a quelques affaires à Kaïlua qui réclament votre présence. Vous avez toute la journée de demain pour faire vos préparatifs et donner les ordres nécessaires pendant votre absence. Pour vous, monsieur, ce retard n’a pas d’importance, n’est-il pas vrai?

Je m’empressai de ratifier les arrangemens pris. Frank ne fit pas la moindre objection, mais il me sembla que Jane baissait les yeux avec impatience devant le regard ému et reconnaissant du jeune homme.

On causa du voyage projeté. Notre hôte avait, dans ses jeunes années, suivi cette même route avec Kaméhaméha Ier. Il nous raconta les émouvantes péripéties des combats livrés dans le voisinage du volcan, les terreurs superstitieuses qu’il inspirait aux Kanaques, les traditions qui en faisaient le séjour de la déesse Pelé. Jane ne tarissait pas de questions. Elle prenait un intérêt passionné à ces histoires du temps passé. Le vieillard rajeunissait en parlant de ses souvenirs. Sa taille se redressait, son œil lançait des éclairs ; l’ami, le compagnon de luttes du conquérant se réveillait en lui. Jane nous récita à son tour quelques vieux chants indigènes, chants de guerre et d’amour, d’un rhythme bizarre, mais pleins d’une ardeur sauvage et d’un charme mélancolique. Je cherchais alors à réunir les matériaux d’une histoire des îles et je recueillais avec soin les traditions orales, seules annales du passé. Jane le savait et voulut bien me promettre de me faire tenir la copie de quelques-uns de ces récits que je lui indiquai.

La soirée était déjà avancée. Nous causions des origines de la population et du grand courant d’émigration qui avait amené la race malaise dans l’archipel, lorsque, se tournant vers moi d’un air malicieux, Jane me demanda : — Savez-vous par qui les îles ont été découvertes?