Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle se rallia dans les faubourgs, qu’elle parcourut en tous sens, en criant : « A bas les ex-ministres! la tête de Polignac ! Vive la République! » et en y recrutant des complices. C’est ainsi qu’elle se présenta dans la soirée au Palais-Royal, formant plusieurs bandes, insultant et menaçant le roi. Il fallut faire évacuer les cours et les galeries du palais, fermer les grilles, défendre même contre ces énergumènes l’accès de la demeure royale et en arrêter plusieurs; mais les autres, loin d’être apaisés ou découragés par leur défaite, devinrent plus tumultueux. Tout à coup une voix domina le bruit, en criant : « A Vincennes! à Vincennes! » Ce bruit trouva un retentissant écho dans cette cohue affamée de vengeance et qui se dirigea sur-le-champ vers le château de Vincennes sous les ordres d’un homme à cheval, armée de fusils, de sabres, de bâtons ferrés, rangée autour d’un drapeau sur lequel étaient écrits ces mots : « Désir du peuple : mort aux ministres! » et traînant à sa suite des femmes et des enfans en haillons.

Vers onze heures, l’émeute se présentait aux portes de Vincennes, à la lueur de torches, remplissant la route de ses clameurs. Par l’étroite fenêtre de leurs cellules, les prisonniers pouvaient voir les mains menaçantes dirigées contre les remparts qui les abritaient. La garnison avait pris les armes et était rangée dans la cour. Le général Daumesnil, auquel incombait l’honneur de défendre une troisième fois cette place qu’à deux reprises il avait gardée contre cent mille étrangers, fit ouvrir la porte et se présenta seul à la foule: — Que voulez-vous? demanda-t-il. — Nous voulons les ministres! — Vous ne les aurez pas. Ils sont confiés à ma garde, et ils ne sortiront d’ici que pour aller devant leurs juges! — Leur juge, c’est le peuple! Nous vous ordonnons de nous les livrer. — Et moi, je vous ordonne de vous retirer, reprit intrépidement le général. — Les ministres! les ministres! mort aux ministres! hurlèrent les émeutiers, qui se pressaient maintenant autour du courageux soldat. — Vous ne les aurez pas! répéta-t-il, et si vous forcez les portes du château, plutôt que de vous livrer ces hommes, dont je réponds envers l’état, je vous jure que je mets le feu au magasin des poudres; de cette manière, ajouta-t-il d’un accent railleur, nous rentrerons tous ensemble à Paris par la porte Saint-Antoine. — Cette réponse, appuyée par une sortie de la garnison, fit reculer les factieux. Ils se mirent à crier tout à coup : « Vive la jambe de bois! » puis revinrent vers le Palais-Royal, où ils n’étaient pas attendus, qu’ils firent un instant mine d’envahir, sous le prétexte de parler au roi, et d’où on ne les chassa qu’au moment où plusieurs d’entre eux gravissaient déjà le grand escalier.

Durant cette soirée, les membres du conseil étaient restés en permanence chez le garde des sceaux. L’événement auquel ils assistaient,