Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Jeunesse de Louis XIV et l’année suivante à ne donner que les Danichef, personne au monde ne s’en soucie, pas même le bureau des beaux-arts, qui trouve assurément qu’un théâtre qui fait de l’argent répond par cela seul à toutes les stipulations de son cahier des charges. D’où il suit que, Paul et Virginie ayant fait de l’argent et beaucoup, il fallait nécessairement venir en aide au Théâtre-Lyrique et joindre un appoint de 60,000 francs au total de ses recettes pour bien l’encourager à persévérer dans ce beau régime des troupes médiocres et des pièces à spectacle montées avec des étoiles et en vue du seul succès d’argent. Nous ne reviendrons pas sur Paul et Virginie; tout le monde aujourd’hui connaît ce charmant ouvrage, illustration musicale exquise d’un chef-d’œuvre littéraire que M. Victor Massé semble avoir reproduit jusque dans ses défauts, qui sont, comme on sait, un peu de sensiblerie et de monotonie. Peut-être aussi conviendrait-il de reprocher à cette mise en scène son excès de couleur locale : M. Capoul, par exemple, sous sa feuille de latanier, nous a toujours paru d’un pittoresque bien enfantin ; qu’un homme abordant la quarantaine figure un jouvenceau de seize ans, le théâtre se prête assez volontiers à ces jeux d’optique, mais il n’y faudrait point trop appuyer, car si rien en ce monde ne vaut la jeunesse, rien par contre n’est plus insupportable que l’afféterie, le maquillage et l’exagération de la jeunesse. Chacun connaît la légende de cette soubrette qui goûtait en cachette au flacon où sa maîtresse buvait l’élixir de jeunesse et qui un jour en ayant bu un coup de trop, au lieu de redevenir jeune, redevint bébé. C’est l’aventure de M. Capoul, cette jolie musique de Victor Massé l’a comme grisé d’eau de Jouvence, et le voilà jeune à l’excès, trop jeune pour sa voix, qui ne répond plus à l’air de son visage. Peut-être M. Capoul n’a-t-il en effet que seize ou dix-sept ans, ce qu’il y a de certain c’est que sa voix en a quarante bien sonnés. Tout l’art du chanteur, tout son artifice, consiste maintenant à dérober au public les défaillances d’un organe dont il ne s’agit que de mettre en valeur les derniers restes. De là une tension continue de l’être, un effort incessant vers le mélodrame ; les veines du cou se gonflent, et le son, moins émis, moins posé que parlé, n’arrive au plein de sa puissance que dans tels effets épisodiques où cette voix vous lire des larmes sans que vous puissiez vous rendre compte de votre émotion. Ce n’est ni du chant ni de la parole, mais c’est alors du pathétique et du meilleur.

Mlle Ritter fait une agréable Virginie. On l’a choisie pour sa jeunesse et pour sa bonne grâce : comme vignette, c’est exquis, mais ce n’est qu’une vignette, et je crains que l’aimable enfant n’ait à regretter un jour de s’être ainsi prématurément embarquée. C’est quand Mlle Ritter abordera le répertoire qu’elle s’apercevra de l’erreur qu’elle a commise en se laissant interrompre au milieu de ses classes, alors qu’elle avait encore tant à apprendre. Rien de dangereux pour un début