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théodicée, entre ces deux abîmes : ou imposer à Dieu une sorte de fatum, en lui supposant une nature nécessaire à laquelle il doit obéir, ou lui prêter un bon plaisir absolu qui est aussi près de la tyrannie que de la liberté. Les plus grands métaphysiciens ont flotté de l’un à l’autre. La liberté absolue est une réaction contre « l’idée absolue : » c’est la revendication extrême de la liberté contre la logique, et nous devons savoir gré à tout métaphysicien qui, poussant une idée à l’extrême, nous en fait mieux comprendre le sens et la portée.

Après avoir posé cette définition de l’absolu, M. Secrétan reconnaît sans peine qu’elle est incompréhensible. « Nous constatons la place de l’absolu, dit-il, nous n’en avons pas l’idée, car nous n’avons pas d’intuition correspondante. » La liberté absolue est au-delà de l’intuition; nous ne la connaissons que dans ses manifestations. La volonté est l’essence universelle. Les différens ordres d’êtres sont les degrés de la volonté. « Exister, c’est être voulu; être substance, c’est vouloir; vivre, c’est se vouloir; être esprit, c’est vouloir son vouloir. » On remarquera ces vigoureuses et brillantes formules. Tout étranges qu’elles sont, elles n’ont rien qui puisse choquer les disciples de Maine de Biran, depuis longtemps habitués à considérer la volonté comme l’essence de l’être. Jusqu’où faut-il pousser cette conception? C’est une autre question.

Sans vouloir exposer. toutes les conséquences que l’auteur tire de son principe, il y en a une cependant qui est trop importante et trop curieuse pour ne pas être mentionnée.

Ce premier principe, cet absolu, qui n’a d’autre essence que de n’en pas avoir, qui est volonté absolue, liberté absolue, est-il ce que les hommes reconnaissent et adorent sous le nom de Dieu? Doit-il être nommé Dieu? Non, dit résolument M. Secrétan. L’absolu est au-delà de Dieu; il est avant Dieu, il est la source de Dieu. Il faut distinguer deux absolus : l’absolu en essence, en puissance, qui est la liberté absolue, liberté pure, notion essentiellement négative, incompréhensible, et qui n’exprime que l’opposition à ce qui n’est pas lui, — et en second lieu, l’absolu en acte, l’absolu existant. Le premier est « l’abîme insondable de la pure liberté; » c’est l’absolu négatif. Le second, l’absolu positif, est « un fait. » C’est à lui seulement que convient le nom de Dieu, et l’expérience seule peut nous le faire connaître. Sans doute, il y a une nécessité des choses, mais c’est une nécessité voulue. Il y a d’immuables statuts; mais ils ont été posés. Toute nécessité s’explique; toute nécessité est dérivée : toute nécessité est un fait. C’est cette nécessité voulue qu’on appelle ordre, providence, et dort le principe est Dieu. « Le principe mobile, transcendant, supérieur au monde,