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substance; c’est l’être hors de soi, tandis que la substance est l’être en soi. La substance est la « cause de l’existence. » Elle est donc essentiellement active; elle est activité. Toute substance est cause; toute cause est substance : ce sont deux notions du même degré.

N’oublions pas que nous ne cherchons pas seulement les conditions de l’être en général, mais de l’être absolu, de l’être premier. On peut trouver que notre métaphysicien va bien vite, en posant tout d’abord la notion de l’absolu sans le soumettre à aucune critique comme une notion universellement acceptée; n’oublions pas que nous avons affaire à l’un des derniers représentans de la philosophie allemande, que cette philosophie depuis un demi-siècle posait cette notion comme un axiome, que cet axiome n’était contesté par personne. Le point de vue critique de Kant avait été complètement effacé et submergé par l’idéalisme dogmatique et théorique de ses successeurs. Acceptons donc le problème tel qu’il est posé, et demandons-nous ce que c’est que l’absolu.

Nous avons vu que la substance est la cause de l’existence; mais on peut se demander quelle est la cause de la substance. Si cette cause est en dehors de l’absolu, il n’est plus l’absolu : il faut donc qu’elle soit en lui, et que l’absolu soit non-seulement cause de son existence, mais encore de sa substance, qu’il se produise lui-même, en un mot qu’il soit cause et effet de lui-même. Une telle conception n’est-elle pas contradictoire? Un être peut-il à l’égard de lui-même être à la fois cause et effet? Une telle conception est si peu contradictoire que nous en trouvons le type dans l’expérience. C’est ce qui arrive en effet dans les êtres organisés. La vie est à la fois la cause de l’existence des organes et l’effet des fonctions des organes; chaque fonction est cause et effet de toutes les autres. Or ce qui est à la fois cause et effet est ce que l’on appelle un but. La vie est son but à elle-même. La cause finale est le vrai commencement, la vraie cause; la cause efficiente n’est que le milieu ou le moyen, ou plutôt ces deux causes se confondent. L’idée de but nous représente un cercle fermé; c’est ce qui manquait à la conception de Spinoza. Il faut que le rapport des modes à la substance soit aussi positif que le rapport de la substance aux modes. L’être n’est donc pas seulement substance et cause efficiente; il est un but substantiel, un organisme, une vie. Ici encore, si nous voulions mêler la critique à l’exposition, nous demanderions s’il n’y a pas quelque abus métaphorique à transporter la notion d’être vivant de l’organisme, qui est composé de parties matérielles, à la simplicité de l’être absolu : est-il intelligible de dire que les modes sont à la substance ce que les organes sont au corps vivant? Dans l’être vivant lui-même, n’y a-t-il pas quelque équivoque à prétendre qu’il est cause