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avait oublié ou trop peu remarqué les derniers écrits de sa première période. Déjà, par ces écrits, il était entré dans une nouvelle phase, que ses disciples désignaient sous le nom de doctrine de la liberté (Freiheitslehre). Était-ce sous le coup des critiques de Fichte, avec lequel il avait eu de vives controverses et auquel il aurait emprunté la doctrine de la liberté, tandis que Fichte, par une sorte de réciprocité, lui empruntait à son tour la doctrine de l’absolu[1] ? ou ne serait-ce pas plutôt sous l’influence de Jacques Boehm, avec les écrits duquel il s’était alors familiarisé? M. Erdmann soulève ces deux hypothèses sans se décider pour aucune[2]. Toujours est-il que, dans ces différens écrits, il avait déjà essayé de dépasser le système panthéistique de l’identité, et, tandis que bien longtemps encore les esprits se laissaient séduire par le prestige de ce système, Schelling l’avait abandonné. Déjà en effet, dans son écrit sur la liberté humaine[3], il enseignait « qu’il n’y a pas d’autre être que le vouloir, » que le vouloir est « l’être primitif, das Urseyn. » Il distinguait l’être, en tant qu’il est « le fondement de l’existence » et l’être en tant qu’il « existe. ». Il appliquait cette distinction à Dieu lui-même, et il soutenait qu’en Dieu, ce qui est l’existence « n’est pas Dieu. » Dieu, c’est « le Dieu existant, » L’absolu et Dieu sont l’un et l’autre la volonté; mais l’un est la volonté sourde, obscure, sans conscience, l’autre est le « mot de cette volonté. » Toute personnalité repose sur un fond obscur; cela est vrai même de la personnalité divine. Dieu devient personne. Dans un autre écrit du même temps[4], il poussait si loin la doctrine de la personnalité divine qu’il l’assimilait presqu’à la personnalité humaine. Si nous désirons, disait-il, un vrai Dieu, un Dieu vivant et personnel, nous devons supposer que sa vie a la plus grande analogie avec la vie humaine, et qu’il a tout en commun avec l’homme, excepté la dépendance. Tout ce que Dieu est, il l’est par lui-même. Dieu se fait lui-même : c’est pourquoi il ne peut pas être dès l’origine quelque chose d’achevé. En Dieu comme en l’homme, il y a un principe obscur et un principe conscient, une lutte entre ces deux principes, une victoire de l’un sur l’autre. Le premier représente l’égoïsme divin, le second l’amour divin. La victoire de l’amour sur l’égoïsme est la création. Cette ressemblance

  1. Fichte en effet a eu deux philosophies comme Schelling, et il a fini en quelque sorte par la philosophie de Schelling, tandis que celui-ci finissait par la philosophie de Fichte.
  2. Erdmann, Grundriss der Geschichte der Philosophie, t. II, p. 554.
  3. Ueber das Wesen der menschlichen Freiheit (Landshut 1809).
  4. Stuttgarter Privat-vorlesungen (Werke, t. VII, p. 418-484). Ces leçons n’ont été publiées qu’après la mort de Schelling, et dans la seconde partie de ses œuvres.