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jours dans la vie ordinaire ce qu’ils représentent le soir devant le public.

Ce qu’un touriste américain racontait de nous en l’année 1817, on le redit encore de nos jours, on le redira sans doute plus tard. Certes, il y a du vrai; le tout est de savoir ce qu’il en faut penser. L’érudition allemande ne voit guère dans Homère, par exemple, qu’un prétexte à dissertations sur les mœurs, les événemens, les croyances des temps héroïques; elle épilogue sur un mot, elle discute sur le sens d’un terme géographique. Pour elle, Ulysse, Achille, Hélène, sont des personnages mythiques dont il lui importe d’élucider l’origine, ou des personnages historiques qu’elle veut ramener à la réalité des faits. Pour nous au contraire, l’Iliade et l’Odyssée sont des épopées grandioses qui peignent l’éternelle vérité des passions humaines : Ulysse est l’homme sage et prévoyant qu’aucune circonstance n’embarrasse ; Achille est le plus vaillant et le plus généreux des guerriers; Hélène, que Priam et ses vieux compagnons ne peuvent apercevoir sans émotion sur les murailles de Troie, Hélène est le type suprême de la beauté féminine auquel les vieillards eux-mêmes rendent hommage. D’un côté, les études sont philologiques et archéologiques, de l’autre elles sont littéraires. Ticknor avait des soubresauts d’enthousiasme qui le ramenaient parfois de notre côté, puis, la raison reprenant le dessus, il faisait fi de l’éloquence. Peut-être redoutait-il de se laisser tout à fait séduire à la longue. Il quitta Paris sans regret, nous assure-t-il, parce qu’il n’y a pas de ville où l’on connaisse tant de monde avec aussi peu d’intimité, où l’on s’amuse autant et où l’on s’attache aussi peu.

Tandis qu’il vivait à Gœttingue, la chaire de littératures française et espagnole à Harvard Collège lui avait été offerte. Il l’avait acceptée sur le conseil de ses parens, en dépit de la rémunération médiocre que l’emploi de professeur lui devait rapporter; 1,500 dollars par an, ce n’était guère, à son avis; ses vingt-cinq ans raisonnaient fort juste sur ce sujet. Cependant l’enseignement avait tant d’attraits pour lui qu’il s’y résigna. Cette décision exigeait qu’il visitât l’Espagne afin de bien apprendre la langue espagnole. Partant de Paris en septembre 1818, il projetait de parcourir l’Italie, d’aller de Rome à Madrid et de revenir en Angleterre pour s’y embarquer. Le voyage de Grèce était abandonné; Byron et Chateaubriand l’avaient dissuadé de cette excursion lointaine où l’on ne voit que des ruines.

Ticknor voyageait avec lenteur, comme un homme que rien ne presse et que tout intéresse. Genève, le pays de Calvin, de Rousseau et de Mme de Staël, méritait bien une halte de quinze jours. Il y arrivait