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les chasseurs. Le paysage ne frappe que par son ensemble ; c’est une monotonie, ou plutôt une harmonie générale, où tout se fond et se mêle. Rien n’attire à soi l’attention, aucun détail ne ressort et ne détonne. Je ne connais pas de lieu au monde où l’on se laisse plus entraîner à ses pensées, où l’on échappe mieux à son temps, où, selon la belle expression de Tite-Live, il soit plus aisé à l’âme de se faire antique et de devenir contemporaine des monumens qu’elle contemple. Ce précieux avantage, la campagne romaine l’a tout à fait gardé, et il est difficile de prévoir quand elle pourra le perdre. On fait beaucoup de projets pour l’assainir et la peupler, mais la mort est entrée si profondément dans ce sol épuisé qu’il est probable qu’elle ne sera pas dépossédée sans peine. En attendant, jouissons du privilège que ce pays conserve de nous mettre mieux qu’aucun autre en communication avec le passé. Quelque effort que fasse Rome pour s’orner et s’embellir, pour se mettre à la mode du jour, c’est l’antiquité qu’on y va surtout chercher, et, grâce à Dieu, on l’y trouve encore. Avec ces grandes ruines qui l’encombrent et ce désert qui l’entoure, elle n’a pas pu et ne pourra pas de longtemps se donner un air aussi moderne qu’elle le voudrait. Il est heureux pour elle et pour nous qu’elle y ait si peu réussi, car on peut lui appliquer ce que disait un poète de la renaissance de la Nuit de Michel-Ange : « C’est par sa mort même qu’elle est vivante, perch’ e morta, ha vita ! »


II.

Tout invite du reste les gens qui visitent Rome aujourd’hui à s’occuper de préférence de l’antiquité : c’est l’antiquité qui semble avoir le plus profité jusqu’ici des événemens de 1870. Le nouveau gouvernement devait beaucoup aux souvenirs anciens ; pour affirmer que Rome méritait d’être libre et de disposer d’elle-même, que l’Italie avait le droit de la réclamer pour sa capitale, on s’appuyait volontiers sur l’histoire de la république et de l’empire, on parlait sans cesse du sénat, du Forum, du Capitole, et les revendications nouvelles gagnaient beaucoup à être protégées par ces grands noms. C’était une dette que le gouvernement italien avait contractée envers le passé et qu’il se mit en mesure de payer aussitôt qu’il fut installé à Rome. Dès le 8 novembre 1870, un décret du lieutenant du roi instituait une surintendance des fouilles pour la ville et la province, et en chargeait l’habile explorateur du Palatin, M. Pietro Rosa. Huit jours plus tard, les travaux du Forum commençaient. En même temps on fouillait aux thermes de Caracalla, aux jardins Farnèse, à la villa d’Hadrien, à Ostie, un peu partout : c’était une ardeur