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déjà bien partagée. M. Rathery, pour sa dernière œuvre, nous a laissé un livre dont on peut dire qu’il est une bonne action.


A. GEFFROY.



L’année dernière est mort subitement à Avallon un homme dont Hégésippe Moreau, qui était de ses amis, disait : « Ce jeune homme à vingt ans montre des talens extraordinaires et une ambition effrénée. » Cependant cet homme, qui a écrit plus d’une page fille et délicate, a toujours préféré cacher sa personnalité derrière un pseudonyme, et s’il a eu une ambition effrénée, il n’y a que ses amis qui aient pu s’en apercevoir en recevant de lui des conseils pleins de sagesse et de droiture, qui devaient les aider dans leur carrière. Nous ne saurions pas encore aujourd’hui que cet homme fut un écrivain, si son fils n’avait pris le soin de recueillir les diverses études de son père pour les réunir dans une publication posthume; mais ce fils respectueux n’a pas été jusqu’au bout de sa tâche, puisqu’il n’a composé ce volume de Souvenirs littéraires qu’en vue d’un cercle restreint d’amis; maintenant il lui faut aborder le grand public. M. René Vallery-Radot a fait précéder ce recueil des articles de son père, insérés autrefois au Constitutionnel, d’une notice biographique où il nous raconte cette vie calme et paisible d’un homme qui a partagé son existence entre son foyer et les fonctions qu’il a remplies successivement à la bibliothèque du Louvre et comme chef du cabinet du ministre de l’agriculture et du commerce en 1869.

Avant tout, M. Vallery-Radot était un fin connaisseur littéraire, un guide sûr et fort apprécié; s’il a fait de la critique, ce ne fut jamais d’une manière militante, il se plaisait beaucoup plutôt à donner des conseils qu’à combattre telle ou telle doctrine. Aussi ce qui restera de ses travaux, c’est son livre sur les Chefs-d’œuvre des classiques français fait en collaboration avec M. de Courson. Dans le volume qui nous occupe, les deux meilleurs chapitres ont trait à l’histoire littéraire : le premier, une petite étude sur Hégésippe Moreau, et l’autre sur un Manuscrit de Bossuet. Comme ces deux sujets ne demandaient pas en effet une fougue de polémiste, rien ne pouvait mieux convenir à cet esprit judicieux. Si nous lisons ensuite les chapitres consacrés au Récit d’une sœur, aux Odeurs de Paris, à l’Affaire Clémenceau, nous rencontrons un homme aimable qui applaudit ou blâme, sans trop louer, sans trop se fâcher, mais qui sème en passant des remarques dénotant un goût sûr, un esprit critique dont les jugemens sont tempérés par l’indulgence de l’homme du monde. On ne peut que regretter en somme que cette plume, qui écrivait si bien, ait écrit si peu.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.