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de gouvernement ont leurs inconvéniens; mais c’est une question de savoir si les entraînemens irréfléchis, si les inconstances, si l’éternelle mobilité de la démocratie trop prompte à se de juger, trop sujette à défaire aujourd’hui ce qu’elle a fait hier, sont un danger plus redoutable que les intrigues de cour qui assiègent un trône. Guichardin a dit qu’une réforme est bien chanceuse quand elle dépend de la volonté de plusieurs; mais ce même Guichardin a dit aussi que les princes sont toujours tentés de ne regarder comme sages que ceux de leurs conseillers qui abondent dans leur sens, quelli che si conformano più alla loro inclinazione. Frédéric-Guillaume III avait toutes les bonnes intentions; malheureusement il tenait plus qu’un autre à ses habitudes. On eut bien de la peine à obtenir de lui qu’il congédiât son cabinet royal, occulte et irresponsable, qui contrecarrait le ministère. Il s’indignait quand on avait l’air de croire que ses conseillers secrets ou ses adjudans exerçaient quelque influence sur ses résolutions : « Me prend-on pour un benêt? s’écriait-il. S’imagine-t-on que, lorsque j’ai pris un parti, je m’amuse à me faire influer pour annuler mon propre ouvrage? Cette idée me paraît insolente. »

Hardenberg et ses amis jugeaient qu’aucune réforme n’était possible sans un changement radical dans le personnel ; mais le roi n’aimait pas les nouveaux visages, celui de Stein surtout lui déplaisait; il goûtait médiocrement cet homme rugueux, un peu rude de manières, souvent amer dans son langage, incapable de se plier aux bienséances et aux mensonges officieux des cours. On perdit courage plus d’une fois, on fut tenté de croire que c’en était fait, qu’il fallait désespérer du salut de l’état, que toutes les mesures proposées échoueraient « contre ces petites considérations qui sont le tombeau des grandes choses. » Dès le mois de juillet 1807, un de ces découragés écrivait à Hardenberg: — « Qu’avons-nous à attendre de l’avenir? On a pu nous appliquer ces mots : Video meliora proboque, deteriora sequor. Ne sera-ce pas toujours la même chanson? Il faut aller planter des choux, et je bénirai celui qui voudra de moi pour garçon jardinier. » Peu de jours après, le comte de Goltz, qui avait pris le portefeuille des affaires étrangères, écrivait de son côté : — « Tout me prouve que nous sommes à jamais perdus, tout concourt pour m’en donner la certitude. Certaines personnes qui avaient affiché l’intention de leur retraite reprennent une influence prépondérante ; rien ne saurait s’opposer à l’ascendant qu’elles ont conservé sur l’esprit du roi... L’intrigue et la cabale reprennent leur empire, les anciennes habitudes reviennent, les anciens abus renaissent; tout le monde veut régner, chacun s’en flatte, chacun y vise, la faiblesse et l’irrésolution caractérisent notre gouvernement. Les braves gens n’auront jamais le dessus, les charlatans seuls feront fortune. Le cœur me saigne en traçant ces mots... Si le baron de Stein nous revient, il ne restera pas quinze jours. »