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la perfection de la politique. » Est-ce la faute de son actrice, de son Genevois et de son émigré, si le généralissime de l’armée prussienne a été battu par Davout à Auerstaedt? On peut en douter, mais sûrement ils ne l’ont pas aidé à vaincre. Avant de se battre, le duc s’occupait de savoir ce qu’il faudrait exiger de Napoléon si on était vainqueur, ce qu’il faudrait lui accorder si on était vaincu. Il discutait la question avec Gallalin et M. de la Maisonfort; apparemment Mlle Duquesnoy ne disait mot, on ne l’avait pas fait venir pour causer.

Le duc de Brunswick fut atteint au visage par un biscaïen ; sa blessure était mortelle, il ne put traiter avec Napoléon. D’autres s’en chargèrent à sa place. « Il est triste d’avoir à remarquer, écrivait Hardenberg, que, dans toute cette période de notre histoire, les militaires qui exerçaient de l’influence furent ceux qui montrèrent le moins d’énergie et se laissèrent le plus facilement abattre. » Ce furent les adjudans du roi, les généraux de Zastrow et de Kœckritz, qui, le jour même de la première défaite, décidèrent le roi à négocier, à dépêcher sans retard au vainqueur le comte Döhnhof pour lui remettre une lettre par laquelle Frédéric-Guillaume III lui représentait qu’il se serait perdu d’honneur s’il avait cherché à éviter ou à différer la lutte, que ses troupes avaient prouvé leur vaillance, qu’il ne lui restait plus qu’à prier l’empereur de renouer avec lui son ancienne liaison d’amitié. Cette lettre avait été écrite cinq jours après la publication du manifeste qui dénonçait Napoléon à la haine de l’Europe. « Il semblait qu’on n’avait point eu de raisons sérieuses de déclarer la guerre, qu’il ne s’agissait que d’une question de point d’honneur, désormais vidée par un duel au premier sang. » Et c’était à Napoléon Ier qu’on adressait ces propositions, à l’homme qui tenait dans sa main de fer « les dés de fer du destin. » On lui demandait de pardonner à ses ennemis d’un jour; il faisait mieux que de leur pardonner, il les aimait tendrement comme le faucon aime la proie qu’il dépèce, et il avait déjà dépecé la Prusse dans sa pensée. Le 18 juillet 1870, un clairvoyant diplomate français écrivait à son gouvernement : « Personne à Berlin ne doute du succès, et la conquête de l’Alsace y est envisagée par avance comme un fait accompli... Je ne saurais trop conjurer le gouvernement de l’empereur d’aviser dès à présent aux moyens de défense les plus extrêmes et de nous préparer moins à une campagne sur le Rhin qu’à une lutte à outrance, jusqu’au couteau.» Bientôt après, ce diplomate si perspicace, à peine de retour à Paris, disait à un ministre : « Je crains que la partie ne soit pas égale entre nous et la Prusse; il me semble que nous nous préparons à une passe d’armes, après laquelle nous aurons hâte de négocier; la Prusse entend faire la guerre à fond, et c’est de notre existence qu’il s’agit. » Les sages ont rarement le bonheur d’être écoutés. En 1870, la France a commis la même faute que la Prusse en 1806; elle ne connaissait pas son