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en trouver plus d’un, moins malade qu’infirme et conservé bien au-delà du temps qu’on conserverait un malade ordinaire dans un hôpital d’adultes. Il est vrai que pour les adultes atteints d’affections non guérissables s’ouvre un asile spécial : l’hospice des Incurables, tandis qu’aucun asile public d’incurables n’est affecté aux enfans. Nous aurions donc à signaler ici une grave lacune si la charité privée n’était venue la combler. Il existe en effet au no 223 de la rue Lecourbe une des maisons les plus intéressantes que j’aie visitées et dans laquelle, malgré sa tristesse, je demande à mes lecteurs la permission de les faire pénétrer un instant : c’est l’asile pour les jeunes garçons incurables fondé par les frères de Saint-Jean-de-Dieu.

L’asile de la rue Lecourbe a eu des débuts modestes comme tous les établissemens dont la création est due uniquement à la charité privée, et il s’est élevé peu à peu au rang important qu’il occupe maintenant dans nos œuvres de bienfaisance par la force cachée de l’ordre qui l’a fondé. J’ai parlé de l’intérêt qu’il y aurait à tenter une étude sur le développement et l’esprit différent des congrégations religieuses en France. Assurément l’ordre de Saint-Jean-de-Dieu mériterait bien quelques pages dans cette étude. Voici un ordre qui porte un nom illustre dans l’histoire du catholicisme. Lorsqu’il était dans toute sa force et son éclat, il avait divisé le monde chrétien en seize provinces et placé chacune de ces provinces sous la direction d’un supérieur appelé provincial, sous l’autorité duquel les différentes maisons situées dans les provinces étaient placées. Le nombre des établissemens possédés par l’ordre de Saint-Jean-de-Dieu s’élevait autrefois à près de 300. L’orage est venu ; les révolutions ont fermé et détruit un grand nombre de ces établissemens ; l’ordre a perdu de sa force et de sa richesse, mais l’organisation ancienne subsiste toujours. Pour le supérieur-général des frères de Saint-Jean-de-Dieu, qui réside à Rome, la France n’est qu’une province. Le provincial réside à Lyon, et c’est sous son autorité que sont placés les huit autres établissemens que l’ordre possède en France. Cet ordre fait partout un bien immense ; ici soignant les malades, là recevant des mains de l’état ou des départemens des aliénés qu’on lui confie, traitant par conséquent avec l’autorité publique, connu et apprécié par elle. Eh bien, cet ordre si puissant et si bienfaisant ne vit en France, comme au reste presque toutes les congrégations d’hommes, que d’une vie illégale et précaire. Il n’est pas reconnu ; il ne peut pas posséder, et, pour assurer la transmission de ses établissemens charitables, il est obligé d’avoir recours au subterfuge d’une société civile constituée entre vingt de ses membres choisis parmi les plus jeunes et les mieux portans. Ces entraves ne l’empêchent pas de prospérer et d’étendre son action