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sol frais et enrichi par la dépouille annuelle des arbres, qui se décompose vite. Aussi l’aspect de ces forêts est-il ordinairement celui d’un pré naturel couvert d’arbres. En raison de la lumière vive de ces hautes régions, les herbes y sont parfumées; elles donnent aux animaux domestiques ou sauvages, aux vaches ou aux chamois, une nourriture exquise. Les uns et les autres peuvent y vivre l’été sans trop nuire à la forêt, si le nombre n’en est pas exagéré. Malheureusement les brebis et les pâtres repoussent les chamois vers les cimes et les vaches laitières vers les vallées; ils règnent en maîtres sur les Alpes, dont ils détruisent les forêts et dégradent les montagnes. Cependant un hectare de bon pâturage peut nourrir une vache aussi bien que cinq brebis, et il donne dans le premier cas 50 à 60 francs de revenu, dans le second 15 à 20 seulement. La substitution des vaches aux brebis sur les pâturages alpins offre donc les plus grands avantages; mais les montagnards sont pauvres et habitués au petit bétail; ils manquent souvent et du capital nécessaire pour se procurer des vaches et du savoir-faire qui permet de tirer bon parti du laitage. Ils sont cependant intelligens, laborieux, économes et bons; mais la pauvreté engendre la misère, et celle-ci ruine les Alpes.

Le moment paraît arrivé où il est possible de sortir de cette affreuse situation. Grâce à l’initiative de quelques hommes de cœur des associations pastorales commencent à s’établir dans les Pyrénées et dans les Alpes, à l’instar des fruitières qui enrichissent le Jura par la fabrication des fromages de Gruyère[1]. Ces produits, obtenus du lait de vache et autrement précieux que les fromages de lait de brebis, se conservent, s’exportent et font l’objet d’un grand commerce; ainsi l’arrondissement de Pontarlier en obtient annuellement à lui seul plus de 5 millions de francs. Il était difficile aux habitans des Alpes de pratiquer cette industrie au fond de leurs vallées perdues, à des centaines de kilomètres du Rhône et des grandes voies de transport. Aujourd’hui enfin les chemins de fer ont pénétré dans l’intérieur des montagnes; Digne et Cap sont reliés à la France. Par cela seul la situation économique du pays devient tout autre, et la haute vallée de la Durance peut expédier ses produits à Paris. Dès lors il est permis d’y espérer la création de fruitières nombreuses, dont l’établissement sauverait le pays.


III.

En raison de la situation, les forêts de mélèze et les forêts de pins autres que les pignadas des landes de Gascogne sont peu apparentes

  1. Le lait vaut 20 cent, le litre à la fruitière; dans les Alpes, il ne vaut pas moitié.