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d’une cour sceptique, avide, et d’un maître qui disait : « Après nous le déluge. » En de telles circonstances, la marine est toujours sacrifiée la première.

Les vaisseaux ne se plaignent pas. Ils sont loin des regards du public. Absens, on les oublie, et d’ailleurs leur action se perd dans l’immensité des mers. Vienne la guerre, la nécessité fait loi : on trouve par tous les moyens de l’argent pour lever des soldats qui agissent à la frontière et dont on peut compter tous les pas; mais la marine n’a pas le même avantage, et le dommage qu’elle éprouve pendant les années de paix ne peut se réparer tout à coup quand la guerre éclate. Enfin la politique anglaise étant alors concentrée dans la pensée d’une expansion considérable au-delà des mers, toutes les forces de la Grande-Bretagne étant dirigées vers ce but, tandis que toutes les ressources de la France étaient au contraire absorbées dans son action à terre, celle-ci devait succomber sur mer, où elle s’affaiblissait chaque jour davantage en présence des progrès constans de sa rivale. L’heure de la décadence de notre empire colonial était venue. Dans cette funeste guerre, nous perdîmes le Canada, défendu jusqu’à la mort par Montcalm, qu’abandonna la métropole. L’Inde nous fut arrachée malgré les efforts de Lally. Trahi et délaissé par le gouvernement, il fut obligé de livrer Pondichéry, qu’il avait défendu contre une armée considérable avec 700 soldats exténués. Dans le cours de la même lutte, les Anglais prirent dans les Antilles la Dominique, la Grenade, Saint-Vincent, Sainte-Lucie, Tabago, qui furent définitivement perdues pour nous. Ils s’étaient emparés également de la Martinique et de la Guadeloupe. La première avait été occupée au mois de février de l’année 1762. La paix de Versailles fut conclue en juillet 1763. À cette époque, la Martinique fut restituée à la France. Les vainqueurs ne l’avaient donc détenue que seize mois.

La Guadeloupe avait été plus longtemps prisonnière. L’ennemi l’avait envahie dès l’année 1759. Elle avait fait une très belle défense dont les envahisseurs avaient cherché à se venger par le ravage des plantations, l’incendie des bâtimens et l’enlèvement des esclaves. Mais l’ennemi avait essayé plus tard de réparer le mal. L’occupation de la Guadeloupe ayant duré quatre ans, les Anglais croyaient y avoir établi leur domination définitive et ils avaient cherché, dans cette pensée, à rendre à cette nouvelle possession la prospérité qu’ils lui avaient d’abord enlevée. Comme ils étaient maîtres de la mer, toute facilité leur était donnée pour atteindre leur but. La Guadeloupe en profita, et quand, à la paix de 1763, elle nous fut restituée, la domination anglaise lui avait été légère et la laissait dans une situation florissante. La guerre de l’indépendance américaine ne causa pas de