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Heureusement ils firent tête à l’orage; ils continuèrent à lutter contre tout espoir, et leur constance fut récompensée avant même le terme du tarif protecteur. D’énergiques résolutions prises sous l’empire de la nécessité portèrent leur fruit. La diminution des salaires, résolument opérée par les planteurs, augmenta le travail des anciens esclaves obligés de faire plus d’efforts pour s’assurer les mêmes moyens d’existence; le développement graduel de l’immigration stimula leur apathie. Les colons avaient d’ailleurs fait de grands sacrifices pour diminuer les frais de production; ils avaient profité du droit de s’approvisionner à l’étranger de tous les objets de consommation et de tous les instrumens d’agriculture, sans acception de pavillon, pour perfectionner leurs modes d’exploitation, tirer meilleur parti de la terre et meilleur rendement de la canne. En même temps, les frais de l’administration des colonies avaient été notablement réduits, et ceci prouve toute la vigueur et toute la fermeté du gouvernement central, qui bien difficilement réussit d’ordinaire à diminuer le traitement d’un fonctionnaire; mais le ministère anglais était à la hauteur de sa tâche. Les difficultés n’ébranlèrent pas sa résolution; il ne les évita point, il les aborda de front. Les impôts locaux furent généralement abaissés, quelques-uns supprimés. L’administration judiciaire fut simplifiée et constituée avec économie. Les émolumens de certains fonctionnaires et des gouverneurs mêmes furent atteints, et de cet ensemble de sages mesures, voici quel fut le résultat : le sucre étranger étant admis librement dans le royaume-uni, la production coloniale y trouva le même accès et s’y plaça avec un honnête bénéfice.

La consommation profita largement de ce double courant. Elle augmenta rapidement de 4 à 8 millions de quintaux sous l’influence du bon marché. Tout le monde y trouva son compte, et les principes du libre échange reçurent la consécration d’un nouveau succès. Les îles anglaises étaient parvenues, tout en augmentant leur production, à en abaisser le prix au niveau des sucres de Cuba, et dès lors les étrangers n’avaient plus qu’à fournir le surplus de la consommation à laquelle les colonies nationales ne pouvaient pas suffire. C’est ce qui est arrivé et ce qui a inspiré la marche de notre administration coloniale. Les mêmes causes ont produit chez nous les mêmes résultats. Il reste à tenter l’émancipation morale des noirs comme on a réalisé leur émancipation physique; mais, sous ce rapport, les îles anglaises ne sont pas plus avancées que les nôtres. Il y aurait pour nous honneur et profit à les précéder dans cette voie.