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une certaine denrée, mais où l’on manquait de toute autre, où l’on aurait péri par la famine sans les approvisionnemens de l’extérieur. A tous, cette situation paraît fausse et mauvaise. C’était le résultat inévitable de l’ancien régime colonial; la société y était constituée pour l’enrichissement de quelques-uns par le maintien forcé des autres dans une situation misérable. Dans la société actuelle, un tel régime ne pouvait durer. L’abolition de l’esclavage y a mis un terme. La population, rendue à la liberté, a révélé de nouvelles tendances, de nouveaux besoins. On a dit qu’elle avait abandonné le travail; ce qu’elle a surtout abandonné en partie, c’est une industrie qui lui était devenue odieuse et qui avait eu particulièrement cette funeste conséquence de discréditer le travail de la terre. Les bons avis n’avaient pourtant pas manqué aux habitans. En 1844, M. Benoît-d’Azy s’exprimait ainsi : « On a souvent dit aux colonies qu’il serait pour elles plus prudent de revenir aux cultures de café, de coton, d’indigo, qui ne trouvent pas de concurrence sur le sol même de la France, et qui peut-être se prêteraient mieux à l’état à venir de la population. Ces conseils n’ont pas été suivis[1].» Ces paroles étaient prophétiques, et le conseil était très sage. Pourtant M. Benoit-d’Azy se bornait à recommander certaines cultures industrielles; mais on ne se nourrit pas de coton et d’indigo, et les Indiens, par exemple, que l’immigration a introduits à la Réunion, au nombre de 70,000, sont obligés d’attendre de l’Inde et de la Cochinchine le riz qui fait leur principale nourriture. Un blocus les affamerait. Donc le coton et l’indigo sont bons, mais le pain est meilleur et surtout plus nécessaire encore. M. Benoît-d’Azy aurait heureusement complété sa pensée en ajoutant aux cultures qu’il indiquait celles qu’on appelle aux colonies « les cultures vivrières, » et qu’on ne mentionne guère qu’avec dédain. Le sol colonial n’est pas très propre aux céréales. Des essais de plantation de riz y ont été faits sans grand succès. Peut-être cette culture, peu recherchée par les planteurs, n’a-t-elle pas reçu une attention et des soins suffisans? Ce que nous en disons, c’est moins pour recommander la production de telle ou telle sorte de farineux aux colonies que pour insister sur l’utilité d’y favoriser les plantations de denrées alimentaires, non pas seulement afin qu’on puisse y suffire à l’alimentation intérieure et que la disette absolue n’y soit plus possible, mais principalement pour donner une occupation régulière à la population créole, pour la réconcilier avec le travail de la terre par l’appât de la propriété. Ainsi l’on pourrait arriver un jour dans les anciens pays d’esclavage à former une population rurale attachée

  1. Voyez l’ouvrage de M Paul Leroy-Beaulieu déjà cité.