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déjà il est possible d’arriver, par l’Egypte, en deux mois, jusque dans la région des grands lacs, sans aucun danger.

Parmi les routes de terre, la plus fréquentée est celle qui va de Bagamoyo à Ujiji, sur le Tanganyka. Elle est régulièrement parcourue par les caravanes que les trafiquans arabes de l’intérieur expédient vers la côte, et c’est celle que tous les explorateurs partis de Zanzibar ont suivie. Cameron pense qu’un chemin de fer à petite section, avec un matériel très léger, pourrait être établi au prix de 15,000 à 20,000 francs par kilomètre, et qu’au bout de peu de temps il paierait l’intérêt. En attendant, une route très facile paraît devoir s’ouvrir par le lac Nyassa. Le steamer de la mission Livingstonia transporterait les explorateurs au nord du lac. De là, en remontant la petite rivière Rooma, on arriverait bientôt aux sources de la Kirumbwe, qui se déverse dans le Tanganyka. La distance entre les deux lacs ne semble pas dépasser une trentaine de lieues. Par le nord du Tanganyka, la rivière Ruzizi et le lac Kivo, on atteindrait le lac Albert, qui n’est qu’à 80 lieues du fond du Tanganyka. Ce serait évidemment le tracé que devrait suivre le fil télégraphique, car il serait presque constamment immergé et ainsi mis à l’abri des indigènes et des fauves ; un petit nombre de stations suffirait pour le protéger. Mais la vraie ligne d’approche, pour rattacher d’une manière ininterrompue l’Afrique centrale aux régions déjà colonisées de l’Afrique australe, c’est évidemment par le Transvaal, le plateau du Monomatapa, Teté sur le Zambèse, et le Nyassa. La distance à franchir est d’environ 6 degrés, ou 150 lieues, par un pays élevé et à l’abri des fièvres si dangereuses de la côte, qui ont enlevé dès le début deux des compagnons de Cameron, Mossat, le neveu de Livingstone, et le docteur Dillon, quoiqu’ils se crussent parfaitement aguerris. Un Français, le docteur Émilien Allou, vient précisément d’accomplir un voyage entre la république sud-africaine et le Zambèse, pendant lequel il a réuni des collections très intéressantes par les espèces nouvelles qui s’y trouvent. Supposez la république des Boers du Transvaal rentrée dans la fédération du Cap, il suffirait que l’Angleterre établît quelques stations entre le Limpopo et le Zambèse pour que le flot de l’émigration qui féconde le Natal se déversât de ce côté. En peu d’années, l’influence anglo-saxonne traverserait l’Afrique de part en part et rattacherait définitivement à la civilisation la magnifique région des grands lacs. Cette conquête pacifique n’aurait rien d’exclusif, car il y a place pour les hommes entreprenans de toutes les nations[1].

  1. Une expédition italienne, dirigée par le marquis Antinori, cherche en ce moment une nouvelle route entre le golfe d’Aden et le lac Victoria par le pays des Gallas. Partie de Berbera, elle a passé par Ankobar. De là elle comptait se diriger vers le lac Baringo par la région où se trouvent les sources du Sobat. Elle a eu beaucoup à se plaindre des autorités égyptiennes sur le golfe d’Aden. La Société de géographie italienne a dû lui envoyer des secours, et depuis lors on n’en a pas de nouvelles. Ce voyage pourrait amener des découvertes dans une contrée inconnue, mais il n’ouvrira probablement pas une voie nouvelle pour le commerce. La route la plus directe vers le Tanganyka serait par la rivière encore peu connue, le Lufidche.