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maîtresse du roi Charles VII ? Son vif esprit, sa naissance que ses biographes rattachent à une noble famille, son éducation distinguée, ne rendent peut-être pas ce mouvement invraisemblable ; mais, quoi qu’on fasse, ce qui domine, lorsqu’on évoque cette ombre légère, c’est l’image de l’amour du plaisir le plus effréné, de la coquetterie et du luxe poussés aux dernières limites chez celle qui se donnait à elle-même le nom de dame de beauté, c’est le souvenir des grands biens qu’elle reçut, c’est enfin le nombre de ses enfans, et peut-être, — car on n’ose rien affirmer, — celui de ses galanteries. Alain Chartier n’en doute pas, croyant, il est vrai, par là mettre à l’abri de toute attaque l’amour tout platonique du roi : car le vieil écrivain a beau savoir que Charles VII ne la quittait pas, et qu’il la combla publiquement de ses bienfaits, il explique le plus sérieusement du monde comment les personnes qui fréquentaient la cour pendant le règne d’Agnès lui ont affirmé par serment « que oncques ne la virent toucher par le roy au-dessous du menton ! » — Étrange et licencieux XVe siècle ! N’est-ce pas un trait qui suffit à le peindre que ce soit la vue d’un tombeau qui puisse entraîner l’imagination vers des pensées si profanes !

La puissance financière, qui s’inaugure avec éclat, reçoit, elle aussi, un hommage dans un des plus imposans mausolées de ce temps, consacré à la femme de Jacques Cœur, alors disgracié. La puissance ministérielle recevait le même honneur dans la personne d’Enguerrand de Marigny par une sorte de réhabilitation posthume. Rien n’est plus curieux que la manière dont le sculpteur élude la défense de faire allusion au procès dans l’inscription. Ce mausolée, construit en forme de chapelle, était un véritable édifice. La statue d’Enguerrand reposait sur le sarcophage. Au-dessus de l’attique étaient élevées cinq figures en ronde bosse, grandes comme nature : celle du milieu représentait l’Éternel assis, vêtu d’une toge ; à sa droite, on voyait Enguerrand à genoux, implorant son jugement, et derrière lui un ange qui tenait d’une main une couronne de cordes et de l’autre une trompette. À la gauche de l’Éternel était Charles de Valois à genoux attendant aussi son jugement : derrière ce prince, un ange qui tenait une toise pour mesurer ses torts. Millin, qui décrit ce tombeau dans ses Antiquités nationales, explique le sens de cette transparente allégorie. Pouvait-on plus clairement faire entendre que l’accusé supplicié était absous par le jugement de Dieu, et que l’accusateur était au contraire condamné ? Ainsi le marbre osait donner des leçons. Le faste funéraire faisait acte d’opposition ou du moins d’indépendance historique. N’est-ce donc pas là aussi un signe des temps nouveaux ?

Tandis qu’à Aix, à Marseille, à Nancy, à Tours, s’élèvent des monumens princiers, — parmi lesquels les tombes de la famille de