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du public et du gouvernement. Le premier intérêt de la Grèce est de récupérer, de reconquérir par l’agriculture le sol dépouillé d’arbres et de forêts, tantôt abandonné par l’eau fécondante des ruisseaux, tantôt envahi par les eaux malsaines des marécages. Pour rendre au territoire hellénique son ancienne fécondité, il faudrait reprendre à l’aide de l’industrie moderne les travaux d’amélioration ou d’assainissement poétiquement attribués par la fable à Hercule et aux héros. Avant tout, pour reporter la population vers la terre et l’agriculture, il faudrait leur donner des débouchés, tracer des chemins, ouvrir des voies ferrées, et ne plus se contenter de la grande route circulaire de la mer. Cette mise en valeur du sol ne saurait naturellement se passer de capitaux, et c’est ce qui fait le plus défaut au petit royaume. L’on s’en pourrait étonner, car, si la Grèce est pauvre, beaucoup de Grecs sont riches. Par malheur, ces opulens marchands ou banquiers grecs de Trieste, de Vienne, d’Odessa ou de Marseille sont pour la plupart sujets du sultan, et, s’ils contribuent généreusement à l’entretien des écoles d’Athènes, ils se soucient peu de venir faire des affaires sous la mauvaise administration hellénique. La Grèce peut encore moins compter sur les capitaux étrangers : les anciennes banqueroutes du gouvernement et la récente conduite des chambres vis-à-vis de la compagnie franco-italienne du Laurium sont un avertissement pour ceux qui voudraient confier leurs fonds au trésor hellénique, ou seraient tentés de les faire fructifier eux-mêmes sur ce sol peu hospitalier. La jalousie locale à l’égard des industriels étrangers, l’espèce de protectionisme moral manifesté à l’occasion des mines du Laurium, a été l’une des plus mauvaises inspirations de l’esprit hellénique, l’une des plus nuisibles au développement futur de la Grèce.

L’état reste seul en face de tous les travaux à accomplir, seul avec de modiques ressources encore atténuées par de récens armemens. Son budget demeure au-dessous de 40 millions de drachmes et ne peut être mis en équilibre. Les deux principales sources du revenu sont l’impôt foncier et les douanes, et le rendement de l’une et de l’autre est diminué par la fraude. On ne saurait beaucoup attendre d’un gouvernement pourvu d’aussi minces revenus et dépourvu de crédit. L’initiative privée des Grecs du dedans et plus encore des Grecs du dehors, qui a tant fait pour la culture intellectuelle du pays, serait seule en état de hâter le développement matériel du royaume. Le principal souci de l’opinion comme du gouvernement, c’est toujours la politique extérieure. Or c’est dans l’intérêt même de l’avenir, c’est pour préparer les destinées de l’hellénisme, que les Hellènes doivent reporter leurs regards et leurs efforts sur le territoire restreint aujourd’hui en leur possession. Voilà près d’un demi-siècle que les Grecs travaillent à atteindre