Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce petit royaume est, non moins que la Suisse, une démocratie sans aucune ombre d’aristocratie ancienne ou récente. Au-dessus de cette société égalitaire est un monarque, non un souverain absolu, un tyran au sens grec du mot, ce qui s’est vu souvent ailleurs, mais un roi constitutionnel aux pouvoirs limités, et placé en face d’une chambre unique, issue d’un suffrage presque universel. La Grèce est ainsi une république démocratique avec un président héréditaire. Cette constitution, qui dans sa forme actuelle date, croyons-nous, de 1864, n’a point toujours donné des fruits aussi mauvais qu’on eût pu le craindre. Peut-être ces institutions, en apparence si défectueuses, sont-elles encore les plus en harmonie avec les mœurs, si ce n’est avec les besoins du peuple. En tout cas, lorsqu’on ne peut construire sur les solides fondemens de la tradition, il est si difficile d’improviser un gouvernement quelque peu viable, que l’on ne doit point être trop sévère avec les peuples mis, comme les Grecs et comme nous-mêmes, à cette dure épreuve.

Les Grecs n’en sont pas plus que nous à leur première expérience constitutionnelle. Avant d’en arriver ou d’en revenir à une seule assemblée, ils ont essayé du régime plus normal des deux chambres. Dans tout pays où il n’existe ni aristocratie politique ni institutions fédérales, la chambre haute est la grande difficulté, la pièce introuvable, le ressort imparfait non moins qu’indispensable du mécanisme constitutionnel. Les Grecs ont eu un moment un sénat viager et inamovible. L’essai, paraît-il, n’a pas été heureux; la machine a été simplifiée, le sénat abandonné comme un rouage inutile, et la chambre des députés est restée affranchie d’un frein qui semble cependant d’autant plus nécessaire au jeu régulier des institutions que plus limitée est la prérogative royale. Bien qu’en tout pays les formes constitutionnelles aient peine à remédier au défaut des mœurs publiques, la mutilation du système parlementaire, ainsi privé d’un de ses organes essentiels, n’est probablement pas étrangère aux vices politiques de la Grèce. Je ne sais en Europe que deux états, tous deux orientaux, tous deux des plus récens et des plus petits, tous deux aussi foncièrement démocratiques, La Grèce et la Serbie, qui aient adopté le régime d’une chambre unique. La Roumanie, qui possédait au contraire des élémens aristocratiques, s’est donné un sénat avec une chambre des députés. La Serbie, plus isolée de l’Europe par sa situation continentale, ses traditions et ses mœurs toutes patriarcales, peut chercher la liberté dans des voies nouvelles appropriées à son état social si différent encore du nôtre[1]. La Grèce, plus rapprochée de l’Occident par les souvenirs

  1. Sur l’histoire de la Serbie, voyez l’ouvrage de M. Saint-René Taillandier, la Serbie au dix-neuvième siècle. — Sur les révolutions helléniques, voyez la Grèce depuis la chute du roi Othon, par M. F. Lenormant, Revue du 1er janvier, 15 mars et 15 juillet 1864.