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car l’infirmerie du workhouse est à la fois un hôpital et un hospice, et les affections chroniques pour lesquelles, il faut le dire, notre organisation hospitalière n’offre que des ressources insuffisantes, y trouvent un asile permanent. Aussi faut-il avoir visité les infirmeries des workhouses pour se faire une idée des misères qui travaillent la population pauvre de Londres. Il n’y a pas une de ces figures qu’on aperçoit reposant sur l’oreiller, dans le demi-sommeil de la fatigue et de la souffrance, sur laquelle on ne puisse lire la longue histoire des privations, des luttes, des angoisses qui ont conduit ces malheureux au workhouse. Chez les uns, les plus jeunes, c’est la tristesse qui paraît dominer ; chez les autres, c’est l’abrutissement et l’insouciance ; mais ces yeux caves, ces joues amaigries, ces teints échauffés ou livides montrent qu’ici la maladie est non pas un accident atteignant un tempérament dans sa force, mais une sorte d’état habituel, fruit de la misère et trop souvent de l’inconduite.

Peut-être se rend-on encore mieux compte de l’état profondément misérable de ces cliens du workhouse, lorsqu’on examine la physionomie de ceux qui, guéris ou à peu près, quittent l’infirmerie pour faire place à d’autres. Le hasard m’a rendu ainsi témoin, pendant une de mes visites, d’un douloureux spectacle. Dans la cour d’un workhouse, un groupe de femmes en haillons plus ou moins malpropres, qui quittaient l’infirmerie, attendaient l’accomplissement des formalités nécessaires à leur sortie. Parmi elles, je remarquai une femme assez jeune, vêtue d’une robe et d’un châle noirs, encore décens, mais usés jusqu’à la corde ; ses yeux, renfoncés dans leurs orbites, brillaient de l’éclat de la fièvre, ses pommettes saillantes, ses mains amaigries, trahissaient les désordres intérieurs de cette terrible maladie des pauvres, qu’on appelle en Angleterre la consomption, et qui, à en juger par son teint d’un jaune livide, paraissait se compliquer chez elle d’une maladie du foie. Pendant que je la regardais, attendant debout à la porte du bureau la délivrance de son bulletin de sortie, elle s’affaissa brusquement, et si ses voisines ne l’avaient soutenue, elle fût tombée sans connaissance sur le pavé de la cour. Laissant les femmes qui l’environnaient la faire asseoir sur une chaise et s’efforcer de la ranimer, je demandai à voir son bulletin, m’étonnant qu’on pût renvoyer de l’infirmerie une malade dont l’état paraissait aussi grave : le bulletin portait ces mots : sortie volontaire. À peine cette femme eut-elle repris ses sens qu’elle demanda d’une voix faible si l’on croyait pouvoir lui trouver un cab qui consentît à la ramener chez elle pour six pence ; c’était tout le contenu de sa bourse. Vainement on lui représenta le danger qu’il y avait pour elle à quitter le workhouse dans cet état en lui demandant quels motifs si pressans commandaient son départ. À tous les conseils, à toutes les