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Un jour qu’un de ces effroyables ouragans se déchaînait sur Manille, nous résolûmes, un de mes amis et moi, de sortir de la ville marchande et de nous rendre sur la plage pour voir la baie et la périlleuse situation des navires qui s’y trouvaient malheureusement. en trop grand nombre. Nous mîmes quatre heures, en nous étreignant fortement par le bras, pour franchir un espace qu’en temps ordinaire nous eussions atteint en trente minutes. Le ciel était bas, parcouru avec une rapidité prodigieuse par des nuées grises que des éclairs sillonnaient ; le tonnerre grondait sans interruption, mais, le bruit de ses roulemens, emporté par les vents déchaînés, arrivait affaibli jusqu’à nous. Lorsque nous eûmes atteint le rivage, nous fûmes surpris de voir que les vagues étaient courtes et sans hauteur, oubliant que ce n’est qu’après les tourmentes qu’elles deviennent formidables. Enveloppés d’embruns, la face fouettée par une grosse pluie, c’est à peine si nous pûmes distinguer deux ou trois navires chassant sur leurs ancres. Nous revînmes au logis, vent arrière cette fois, beaucoup plus vite que nous n’étions partis, non sans avoir couru un danger sérieux, car pendant quelques minutes, nous fûmes enveloppés débranches d’arbres brisées, d’éclats de tuiles et d’innombrables morceaux de cette nacre transparente qui sert de vitres aux maisons du pays. Les tremblemens de terre sont tellement fréquens dans l’archipel que le cristal, trop cassant, y est remplacé par des petits carrés d’huîtres perlières. Le lendemain, nous apprîmes qu’une dizaine de navires avaient été jetés à la côte, qu’on y avait ramassé les cadavres d’une cinquantaine de Chinois noyés et qu’environ deux mille maisons indiennes en bambous jonchaient le sol. En 1865, un ouragan fit aussi échouer dix-sept navires ; la vitesse du vent pendant la soirée de cette tempête aurait été de 38 mètres, par seconde, plus de 33 lieues à l’heure.

Au milieu du siècle dernier, l’astronome Legentil constata que les changemens de vents ou de mousson, n’avaient pas aux Philippines une régularité semblable à celle des autres parties de la zone torride, et que, lorsque la bise soufflait sur mer de l’ouest, sur terre elle venait du sud-est. Cette anomalie, qui dure parfois quinze jours, est généralement le prélude d’une bourrasque plus ou moins violente. Legentil a aussi observé que la couche inférieure des nuages d’où sortaient les ouragans avait une hauteur perpendiculaire de 900 mètres, et qu’au-dessus de cette couche il y avait d’autres nuages suivant une direction différente.

L’influence du climat des Philippines a moins de prise sur les hommes adultes européens que sur les jeunes gens. Après un séjour de cinq à huit ans, beaucoup d’entre eux s’affaiblissent ; la dyssenterie les atteint presque tous, et pour échapper aux funestes conséquences de la maladie il n’y a qu’un remède, le retour immédiat