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fut percé par la même occasion un lourd portique à colonnes, et tout cela sans goût, sans choix, sans même prendre le soin de raccorder les motifs de sculpture. Malgré tout, on peut encore retrouver dans ces malheureux fragmens deux styles et deux époques bien distinctes : les uns remonteraient à la première construction de la basilique, à la fin du VIIIe siècle, quand les chrétiens chassés par l’invasion sarrasine se réfugiaient sur le sol d’Alava et que l’art latino-byzantin à ses derniers momens allait céder la place au style roman ; les autres, d’un travail plus fin, plus délicat, appartiendraient au temps de don Rodrigo Cascante, évêque de Calahorra, vers 1180, duquel dépendait à ce titre la basilique d’Armentia et qui la fit reconstruire ou réparer à ses frais. Le tombeau du prélat, car il avait tenu à être enterré dans cette église qui lui devait tant, arraché lui aussi de la façade principale et transporté avec le reste à la nouvelle entrée, se trouve encastré dans le mur, en dessous du portique ; tout autour court une inscription latine à peine déchiffrable. L’évêque, de grandeur naturelle, est couché tout de son long dans ses habits sacerdotaux ; quoique protégée comme d’une grille par des colonnettes de pierre, la statue a beaucoup souffert, non moins peut-être de la main des enfans que des injures de l’air auquel elle est restée si longtemps exposée.

Pendant que je m’arrêtais à tous ces détails, un orage se formait à l’horizon. C’était la fin d’une chaude journée de juillet, de gros nuages pesans et bas roulaient dans le ciel obscurci, un vent tiède secouait doucement les feuilles des arbres de la place ; déjà de larges gouttes de pluie tombaient avec un son mat sur le sol poudreux qu’elles marquaient de taches noires. J’étais venu avec un jeune homme de Vitoria qui me servait de cicerone. Nous n’avions pas de temps à perdre si nous voulions visiter l’intérieur de la basilique avant la nuit. « El padre cura fait une promenade aux environs, nous dit une vieille femme que nous interrogions, mais sa gouvernante est là qui vous donnera la clé, » et du doigt elle nous montrait le presbytère, une petite maison sombre, accolée comme une verrue au mur de la façade condamnée. Or au moment même où nous arrivions près d’elle, la gouvernante venait imprudemment de laisser échapper — comment dirai-je ? — les deux plus belles pièces de la basse-cour de monsieur le curé, la réserve de la Noël, deux petits cochons frais et roses, à l’allure indépendante et tapageuse : ils s’enfuyaient de toute la vitesse de leurs courtes jambes, et la bonne femme de courir après eux, criant, soufflant, tendant les bras. En vain les jeunes enfans qui sortaient de l’école s’étaient-ils réunis pour les traquer : ce quadrupède, avec son air lourdaud, est bien un des animaux les plus rusés de la création ; ceux-ci, se voyant poursuivis, avant que le cercle fût entièrement formé,