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permettre de devenir une armée à leur tour ; mais il faut tenir compte des embarras intérieurs créés par la révolution de 1868, puis par le départ du roi Amédée, de la faiblesse des gouvernans, de la pénurie du trésor, enfin du manque d’officiers suffisans. Assurément, comme courage personnel, les chefs valent les soldats ; chez tous, à tous les grades, la bravoure est incontestable : toujours les premiers au feu, ils marchaient en avant, pincés dans leur petite tunique de drap bleu, la casquette crânement posée sur l’oreille, dans la main gauche un revolver, dans la droite cette légère canne à pomme d’or qu’ils ont partout avec eux et qui leur est comme un bâton de commandement, encourageant leurs hommes de l’exemple et de la voix, aussi calmes, aussi intrépides que s’ils allaient à la promenade. Mais la valeur et le sang-froid ne suffisent plus aujourd’hui, et, sauf quelques exceptions brillantes, le corps des officiers manque des connaissances et des qualités toutes spéciales qu’exige la guerre moderne : ils n’ont pas assez étudié. En général ils sortent beaucoup trop jeunes des écoles : on heurte à chaque pas dans les rues des capitaines imberbes et qui n’ont pas vingt ans, des lieutenans joufflus qu’on prendrait pour des collégiens en rupture de ban, et l’on ne peut se défendre d’une impression de malaise en entendant ces enfans, ces blancs-becs, comme on les appelait chez nous, commander de leur voix jeunette à de vieux soldats éprouvés. D’ailleurs les besoins de la dernière guerre et précédemment aussi les nombreux pronunciamientos après lesquels chaque général révolté, heureux ou malheureux, recevait, à titre de récompense ou de consolation, un grade de plus pour lui-même et pour tous ses complices, ont fait contre toute prévision monter au rang d’officiers des gens que leur seul mérite ou simplement leur caractère rendaient indignes d’y aspirer jamais. Tout cela joint à certains vices d’organisation, comme la séparation établie entre le grade et l’emploi, ou la possibilité pour les corps spéciaux d’obtenir de l’avancement dans les rangs de la ligne, nécessite de grandes réformes, et, si j’ai bien compris, les personnes les plus éclairées du pays et même de l’armée sont les premières à en convenir.

Dès le printemps de l’année dernière, une partie des troupes a pu rentrer dans ses foyers ; toutefois le rôle de l’armée n’est point terminé : si les Basques ont posé les armes, cette soumission n’a pas été volontaire, longtemps encore ils regretteront leurs fueros, et jusqu’à ce que le calme soit revenu dans les esprits, des forces considérables, 60,000 hommes pour le moins, doivent occuper le pays carliste. En même temps, le gouvernement est forcé de faire face aux exigences toujours croissantes de la guerre d’outremer. Neuf ans déjà se sont écoulés depuis qu’un jeune propriétaire