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mais cette distinction récompensait en lui le caractère autant et plus que les services : un caractère loyal, intègre, incapable de transiger avec le devoir. Fils du général Quesada, mis en, pièces par le peuple de Madrid, et comme lui parfait caballero, il a toujours évité de se mêler de politique, sa vie militaire est pure de tout pronunciamiento, et certes l’éloge a bien sa valeur lorsqu’on réfléchit que la plupart des généraux de l’Espagne, hommes d’honneur en tout le reste, n’hésitent pas à se prononcer, c’est-à-dire à retourner contre le gouvernement même qui le leur a confié le pouvoir qu’ils ont dans les mains. Au physique, de taille plutôt petite que grande, le corps un peu replet, grisonnant, il a cet air à la fois réfléchi et résolu qui dénote les hommes parvenus surtout à force de persévérance, de travail et d’énergie.

La présence du quartier-général et d’une partie des troupes de l’armée du nord met en ce moment dans la ville encore plus de bruit, d’animation et de gaité. Chaque matin, sous mes fenêtres, passaient un ou deux bataillons allant à l’exercice : les clairons, de même forme, mais plus petits, plus durs que les nôtres, lançaient dans l’air leurs notes criardes et précipitées, les hommes suivaient d’un pas rapide, et c’était plaisir de les voir, le teint bronzé, l’air résolu sous leurs uniformes un peu fripés par la dernière campagne, défiler, puis disparaître en bon ordre au tournant de la rue. Les Espagnols sont peut-être les plus vaillans marcheurs que l’on connaisse : cela tient à l’habitude des courses forcées dans un pays privé de communications, semé d’obstacles de toute sorte. Or depuis les succès récens de l’armée allemande, par une pente assez naturelle, qu’il s’agisse de détails d’exercice, de discipline ou de casernement, la mode est là-bas d’imiter un peu en tout les Prussiens : il n’est pas jusqu’à l’allure du soldat qu’on n’ait essayé de rendre moins fantaisiste, moins indépendante, moins méridionale en un mot. Quand le bataillon s’ébranle, c’est à qui parmi ces braves garçons élèvera bien exactement le genou d’un mouvement automatique à la hauteur voulue par la théorie et le rabattra pesamment sur le sol ; mais bientôt la théorie est mise en oubli, les jambes s’allongent souples et nerveuses, chacun reprend son allure ordinaire, et sincèrement les chefs auraient tort de s’en plaindre, puisque c’est de ce même pas, élastique et léger, qu’on voit leurs hommes faire sans sourciller jusqu’à quinze lieues par jour.

Extérieurement le fantassin espagnol a beaucoup de rapports avec le soldat français : petit de taille comme lui, nerveux, agile, bien découplé. Du reste l’uniforme est identique : longue capote bleue et pantalon garance, tirant l’œil. Certes je ne désire ni ne prévois, comme l’estimable lieutenant-colonel du régiment de Tolède, que les affaires se brouillent de longtemps entre la France et