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comprend, qui occupait avec les siens l’étage supérieur de la maison même dont le bas servait, de cachot, ne tenait guère à m’offrir l’hospitalité ; de son côté le sergent semblait réfléchir : il hésitait entre l’exécution stricte de sa consigne et je ne sais quelle bienveillance naturelle qui se trahissait dans ses paroles. « Oui, j’en conviens, me disait l’excellent homme en promenant un regard de dégoût sur le lit de camp odieusement, souillé, on ne peut pas vivre ici ; ce lieu n’est pas. convenable, même pour un criminel. Que voulez-vous ? la guerre n’a permis de rien entretenir ; pourtant prenez patience, dès demain, vous serez, à Vitoria, et là, vous vous trouverez tout à fait bien, je vous le promets. La prison de Vitoria est toute neuve, et claire et propre ; avec, celle de Vergara, je n’en connais pas de plus belle. Vous verrez, vous-même, » ajouta-t-il naïvement sans y entendre malice. Or, le croirait-on ? cette perspective séduisante ne me consolait qu’à moitié ; j’insistai de nouveau, je dis que je consentais à être enfermé partout où l’on voudrait, pourvu que ce ne fût pas dans une fosse à fumier ; je jurai mes grands dieux que je ne tenterais aucune évasion et que je resterais toujours prêt à répondre au premier appel. Bref, au bout d’une heure j’étais installé dans le propre quartier des gardes civils. Foin du vieux savetier qui m’avait donné un verre d’eau où nageait une araignée ! La femme d’un des gardes se mit en cuisine à mon intention ; on me servit le puchero national, les sardines frites à l’huile selon la mode d’Espagne, et, je dois le dire, jamais régal improvisé ne me parut aussi délicieux.

Cependant, à peine arrêté, j’avais prévenu par dépêche un de mes amis les plus dévoués de la sotte situation où je m’étais mis ; je comptais à Madrid même, plusieurs personnes qui s’intéressaient à moi et qui connaissaient déjà le but de mon voyage : le malentendu ne pouvait plus être de longue durée. Le soir, à la veillée, tous les hôtes du cuartel étaient réunis dans la cuisine autour de la grande cheminée ; là aussi on parlait de la guerre ; un des assistans, au milieu du silence général, racontait cette première et terrible attaque de Somorrostro à laquelle lui-même avait pris part, quand un bruit soudain d’armes et de chevaux ébranla les rues caillouteuses de Penacerrada et fit trembler les vitres fouettées par la pluie. C’était un détachement de la garde civile, commandé par un capitaine, qui arrivait de Vitoria avec ordre de me relâcher immédiatement. Quel meilleur usage pouvais-je faire de ma liberté, à cette heure et par l’horrible temps qu’il faisait alors, que de profiter jusqu’au bout de la gracieuseté de mes hôtes ? J’allai me mettre au. lit, et le lendemain seulement, après avoir serré cordialement, la main au brave sergent et à ses compagnons, je pris à pied la route de Vitoria. Cette fois encore je marchais avec la pareja, que les