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baisserait le pont-levis, comme cela se pratiquait tous les matins ; lui-même, avec le reste de ses forces, va se poster sur les hauteurs voisines. La ruse réussit à souhait : les carlistes pénétrèrent dans la ville pêle-mêle avec le faible détachement qui occupait la porte et qu’une attaque soudaine avait effrayé ; dans les rues, les libéraux reprenant confiance, un combat assez vif s’engagea ; mais déjà Alvarez accourait et mettait ses pièces en batterie. Après une courte résistance, la garnison, réduite à 300 hommes, fut obligée de capituler. Peu curieuse en somme, la ville ne se distingue point des autres places fortes du moyen âge ; elle est bâtie sur une éminence dont son enceinte crénelée dominait les contours ; aujourd’hui les tours, écrêtées, coiffées de toits et percées de fenêtres, servent d’habitations particulières. Toutefois le château, vieux du temps des rois navarrais, était remarquable de conservation ; on m’en avait dit l’aspect élégant et solide à la fois, et je m’étais promis de le visiter. Mal m’en prit, comme on va le voir. J’avais quitté El Ciego sous une pluie battante, « par un temps d’hérétiques, » diraient ces bons Espagnols ; j’avais gravi la rampe caillouteuse qui monte vers La Guardia, j’avais reconnu une partie de l’ancienne enceinte, puis, franchissant une porte basse ouverte au flanc d’une grosse tour massive et carrée qui sert en même temps de clocher à l’église, j’étais entré dans la ville. Là, de tous mes yeux, je cherchai le fameux château ; hélas ! j’aurais pu chercher longtemps : depuis deux ans déjà il n’existait plus. Après la prise de la ville, les carlistes, peu soucieux d’y soutenir un siège à leur tour, s’étaient empressés de démanteler l’enceinte ; le château lui-même avait été livré aux flammes ; c’est ainsi qu’un peu plus tard les libéraux purent rentrer dans la place presque sans coup férir ; mais pour prévenir tout nouveau coup de main, avec les matériaux et sur l’emplacement du château démoli, ils construisirent à la hâte une sorte d’ouvrage avancé ; le donjon seul restait debout, sillonné du haut en bas par une large crevasse ; on s’en servit comme de magasin pour serrer les poudres et les munitions.

Or ce jour-là, ignorant encore de tous ces détails, je m’avançais sans défiance, les pieds dans la boue et le nez au vent comme un vrai curieux que j’étais ; je ne me lassais pas de regarder, je crois même que naïvement, pour éclaircir mes doutes, j’interrogeais quelques paysans qui passaient par là, quand tout à coup je me sens frapper sur l’épaule ; je me retourne, un caporal de la troupe était devant moi qui, joignant le geste aux paroles, m’ordonne de le suivre et me déclare que sans plus tarder on va me conduire devant le gouverneur de la place ; presqu’au même instant, quatre hommes m’entourent, baïonnette au canon. Plus de doute, on m’aura pris pour un espion : ces bons libéraux, à ce que je vois,