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taureau furieux dans la grande rue de Zwieselstein, ladite Afra, prise d’un élan de tendre angoisse, avait sauté devant tout le monde au cou du garçon. Si grand que fût l’orgueil de Wally, son amour l’emportait encore sur son orgueil ; loin de renoncer au chasseur, elle n’eut plus qu’une seule pensée : l’enlever à sa rivale. Elle afficha tout à coup le goût du luxe et des atours ; lors de la procession de la Fête-Dieu à Sölden, on la vit se joindre au cortège dans une toilette pleine de froufrous et de tintemens argentins : elle avait compté attirer de la sorte l’attention du fier chasseur ; il eut à peine l’air de l’apercevoir et partit sans lui avoir adressé la parole. Dans son dépit, l’arrogante fermière s’en prit à la servante de Zwieselstein, et, laissant jaillir l’écume bouillonnante de sa jalousie, elle lui reprocha publiquement son impudeur et railla du même coup ce vaillant tueur d’ours qui aimait mieux, disait-elle, « une bonne amie qui de prime abord vous saute au col » qu’une femme dont il faut commencer par faire la conquête et avec laquelle on court le risque d’essuyer une piteuse déroute.

Dès ce moment, Wally leva l’ostracisme dont elle avait frappé Vincent, et comme Vincent, en homme avisé, non-seulement ne soufflait plus mot de son amour, mais encore avait grand soin d’être informé de tout ce qui se passait dans l’OEtzthal et particulièrement à Zwieselstein, la jeune fille sentait ses méfiances se dissiper peu à peu. Vincent néanmoins n’avait pas renoncé à ses visées. Un jour, après avoir bien attisé la jalousie de Wally au sujet d’Afra, il remit brusquement sur le tapis ses prétentions d’épouseur. Repoussé de nouveau avec une dureté sarcastique, le bilieux garçon, qui attendait depuis longtemps cette heure décisive, tira de sa poche un papier : c’était le testament du Stromminger. Le bonhomme, avant de mourir, avait trouvé moyen d’asséner à sa fille un dernier coup de poing en stipulant que, si dans le délai d’une année elle n’épousait pas Gellner, la ferme avec toutes ses dépendances appartiendrait à celui-ci ; Wally en serait réduite à sa légitime. Or les douze mois allaient expirer, et Vincent était résolu à faire valoir ses droits. Pour toute réponse, la fière montagnarde se déclare prête à faire ses paquets et à retourner au Murzoll avec son vautour. À ce coup, l’impétueux amant est hors des gonds. Dans un accès de douleur sauvage, il se jette aux pieds de la jeune fille : argent, prés et bois, qu’est-ce que cela ? C’est Wally qu’il lui faut ; c’est elle qu’il a compté prendre au testament comme au trébuchet. Tous les domaines du monde sans Wally, il s’en soucie bien ; le Hochjoch avec Wally, voilà tout son rêve. Ce disant, il déchire le papier et en disperse au vent les morceaux.

Au même instant, par un coup de théâtre fort heureusement imaginé, apparaît le messager de Sölden. En présence de Vincent