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Saxe-Cobourg ? en un mot, sont-ce les procédés des ministres anglais qui ont dégagé Louis-Philippe des engagemens pris au château d’Eu ? ou bien est-ce Louis-Philippe qui, inventant des griefs, affectant de croire qu’on le trompait, a joué la comédie pour se dégager brusquement et courir à son but ? Les accusations les plus dures ont été proférées à ce sujet, des accusations si dures, si blessantes, qu’évidemment elles dépassent le but et se détruisent elles-mêmes. Comment accorder quelque crédit à de pareilles violences de langage ? est-il possible que la reine Victoria ait voulu de parti pris manquer à sa parole envers le roi Louis-Philippe en faisant monter sur le trône d’Espagne un parent du prince Albert ? est-il possible que le roi Louis-Philippe ait joué en présence de toute l’Europe la misérable comédie dont on parle, et qu’il ait affecté une inquiétude menteuse, une colère hypocrite, afin de reprendre sa liberté d’action ? Pour moi, après avoir étudié la cause avec toute l’impartialité dont je suis capable (et l’impartialité est facile quand il s’agit de choses si éloignées de nous), je demeure fermement persuadé que d’un bout à l’autre de cette histoire il y a eu surtout des malentendus, que ces malentendus ont eu pour causes premières des fautes à peu près égales chez l’un et l’autre gouvernement, que les plus coupables, je ne dis pas les seuls coupables, sont des agens politiques trop zélés, que cette grosse affaire peut se réduire à une sorte de combat singulier entre deux diplomates, et qu’il est impossible à un esprit désintéressé d’y voir soit une tromperie de la cour d’Angleterre, soit une comédie du roi Louis-Philippe.

Les deux diplomates qui, dans ce duel d’esprit et de ruse, ont ainsi envenimé la situation, je les nomme tout de suite, c’est M. le comte Bresson et sir Henry Bulwer. Ils étaient arrivés à Madrid, l’un et l’autre, vers la fin de l’année 1843. Dans les premiers temps de leurs relations officielles, sir Henry Bulwer, voulant savoir sans doute quel homme était son collègue de France et ce qu’on pouvait se permettre à son égard, lui adressa un billet qui certainement n’avait de modèle dans aucune chancellerie. Figurez-vous un papier plié au hasard, sans enveloppe, sans cachet, déchiré à la marge, couvert de taches d’encre, et sur lequel étaient tracées quelques lignes au crayon. Des collégiens peuvent correspondre de la sorte ; que dire d’une pareille drôlerie dans ce monde des scrupules et de la correction ? Jamais la religion de la forme n’avait été plus hardiment violée. Il y a un art charmant de parler à demi-mot, d’insinuer une épigramme, d’effleurer l’adversaire sans qu’il puisse même se plaindre ; ceci ressemblait au coup de poing d’un boxeur. M. le comte Bresson, sans s’émouvoir, riposta en maître. Il prit une feuille de même format, y fit la même déchirure, y versa le même nombre de gouttes d’encre, y traça au crayon le même nombre de lignes,