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jovial, — ces événemens seuls sont tragiques, lui ne respire que sensualisme, hilarité paterne. C’est, dans la plénitude de son embonpoint fleuri, dans la riche et luxuriante abondance de sa progéniture, l’immortel don Magnifico de l’opéra italien, si splendidement représenté jadis par le grand Lablache ! Nulle trace de vues politiques, et, — curiosité bien autrement remarquable au sein de cette Italie de la renaissance, — aucun sentiment des lettres ni des arts, pas l’ombre de ces goûts de culture intellectuelle qui, s’ils ne réussissent pas à réhabiliter nombre de scélérats de cette époque, les élèvent du moins fort au-dessus de cette race d’Espagnols romanisés adonnée aux seules jouissances physiques, et dont les fêtes jamais ne connurent que les délices de l’ivresse et du jeu. Le concert de malédictions qui, des quatre coins de l’Italie, éclata aussitôt contre la mémoire d’Alexandre VI préludait, dès cette première heure, au jugement de la postérité.

« Rome entière, — écrit Guicciardin, âgé de vingt et un ans à cette époque et mieux que personne posté pour nous transmettre les impressions de ses contemporains, — Rome entière, saisie de joie indescriptible, accourut à Saint-Pierre contempler ce défunt, ce démon d’ambition insatiable et de pestilentielle perfidie, dont la cruauté féroce, la monstrueuse luxure, la rapacité, l’audace effrontée dans l’administration du temporel et du spirituel, avaient empoisonné le monde. Et pourtant, cet homme, de sa jeunesse au terme de son existence, un bonheur constant, inouï, l’avait poussé, et, si grandes que fussent les choses auxquelles il visait, celles qu’il atteignit furent plus grandes encore. Exemple solennel fait pour confondre l’erreur de ceux qui font dépendre de notre mérite ou de nos fautes le bien et le mal qui nous arrivent en ce monde, au lieu d’en rapporter la cause à la sagesse et à la justice de Dieu, dont l’omniscience plane au-delà du cercle étroit où nous nous agitons, et se réserve, pour d’autres temps et d’autres lieux, de récompenser les vertus et de punir le vice ! » A cet anathème de l’histoire, la poésie bientôt mêle sa voix. Et cette satire sanglante, qui l’écrira ? Le courtisan des heureux jours du règne, l’homme aux sonnets, aux épithalames, l’Arioste. Écoutez-le flétrir les scandales du sanctuaire, cette course effrénée aux emplois, aux dignités ecclésiastiques. Il est vrai que nous sommes sous Léon X et que les Borgia sont par terre : admirable occasion pour leur tomber dessus.


« Et qu’adviendra-t-il, s’il monte au rang suprême ? enrichir, agrandir ses fils et ses neveux sera son premier souci paternel.

« Penser au turc, il n’en a cure, et cependant toute l’Europe l’aiderait à commencer par là sa haute mission.