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grande route qui conduit d’Ombrie en toscane s’élève une colline en plate-forme d’où le regard s’étend vers le lac Trasimène et qu’un château-fort couronne de son quadrilatère ; là se sont réunis tous les ennemis du Borgia : Vitellozzo-Vitelli, Gian-Paolo Baglioni, Oliveretto da Ferno ; après avoir donné au duc de Romagne l’Italie centrale, ce monde-là s’est dégoûté de son héros, lequel, à vrai dire, commence à l’effrayer. On prétend que la peur est le commencement de la sagesse ; la peur n’engendre que la haine. Ils se révoltent donc et ne travailleront désormais que pour leur propre compte : 700 cavaliers et 9,000.hommes d’infanterie occupent la plaine.

Nous sommes au 7 octobre 1502 ; la nuit tombe. Dans une salle voûtée de la citadelle d’Imola, deux personnages sont assis face à face, tous les deux du même âge. L’un est en costume de chambre ; son visage rond et plein bourgeonne de pustules et de petites verrues ; quand il parle et s’anime au feu de la conversation, sa main joue avec le manche de son poignard ; s’il se lève, sa taille se déploie imposante et fière, et toute sa physionomie respire une sorte de noblesse qui doit être au moins celle de la vie des camps et du courage : cet homme, c’est César Borgia, duc de valentinois et d’Urbin. L’autre porte un costume de velours noir, et son étroite et blanche collerette rehausse encore l’air maladif de son visage. Ces yeux vibrans d’esprit, cette bouche, ont connu, — trop connu peut-être, — les voluptés de l’existence ; mais le front est sérieux, la bouche plissée d’ombres sévères. Vous songez à deux choses qui se contredisent et qui très souvent néanmoins vont ensemble : le sensualisme et la pensée abstraite. Il se nomme Machiavel ; tous les deux dans la plus difficile et la plus périlleuse position où des hommes se puissent rencontrer, tous les deux dans la fosse aux lions !

Avec l’aide des Orsini et de Vitellozzo, un chef de bande à sa solde, César s’était emparé de la Romagne ; pour peu que la France l’eût souffert, il aurait mis la main sur Florence ; mais, Louis XII ne goûtant point ce plan, force fut bien d’y renoncer. Restait à se dédommager de la mésaventure. On arma contre Bologne, et la campagne allait son train, lorsque tout à coup les Orsini et Vitellozzo se détachent, ameutent contre lui la population d’Urbin, soulèvent et dispersent ses mercenaires, et le voilà réduit à s’enfermer avec 100 lances dans le château d’Imola, que des cohortes d’ennemis et de soldats mutinés cernent de toutes parts. Les révoltés ont invité la république de Florence à s’unir avec eux pour débarrasser l’Italie de ce brandon incendiaire, comme ils l’appellent ; mais la seigneurie préfère rester neutre et se contente d’observer le duc. Or le délégué à ce poste d’observation n’est autre que messer Nicolo Machiavel. Il apporte au susdit seigneur