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d’un Alexandre VI se décorent les murailles du Vatican et qu’un Pérugin, l’homme des béatitudes, exécutait de sa main angélique ! Mais le vrai peintre d’une pareille cour était ce Pinturicchio qui ne rougissait pas de représenter la vierge Marie sous les traits de l’impudique Julie Farnèse. Celui-là s’entendait en grimaces, et même à ces terribles Borgia ne ménageait point la caricature. « Au château Saint-Ange, nous raconte Vasari, il peignit plusieurs salles à grottesche, » ces grotesques figurant Alexandre VI, César Borgia, Lucrèce, les frères et la sœur, toute la sainte famille ; c’étaient des sujets ayant trait à l’expédition française en Italie et glorifiant Alexandre VI, vainqueur de Charles VIII. On y voyait le roi de France sous divers aspects, tantôt pliant le genou devant le pape dans ces mêmes jardins du château Saint-Ange, tantôt lui servant la messe dans Saint-Pierre. J’en passe, et des meilleurs, comme le serment d’obédience prêté par Charles VIII au saint-père et la cavalcade à Saint-Paul, où le roi tient au pape l’étrier. Toutes ces fresques ont aujourd’hui disparu, et sans doute avec elles bien des portraits de la famille Borgia. Que de fois ce Pinturicchio n’a-t-il pas dû retracer l’image de la belle Lucrèce ! N’est-ce point permis aussi de croire que dans les divers tableaux de ce maître plus d’un personnage nous montre la tête d’un Borgia ? Qui sait dans quelles galeries de Rome ou de Florence, dans quels vieux châteaux de la Campagna se dérobent ces masques illustres voués au plus fâcheux incognito et que nous coudoyons peut-être sans les saluer ? — Michel-Ange arrivait à Rome pour la première fois en 1496 ; il avait alors vingt-trois ans et pouvait se rencontrer avec Copernik et Bramante, qui, vers le même temps, parcouraient la ville éternelle. Michel-Ange, Copernik, Bramante, quels passans que ceux-là ! « Rome, a-t-on dit, ne vécut jamais que d’importations ; ses poètes, ses artistes, ses philosophes, lui viennent du dehors, mais son génie est l’assimilation. » Elle absorbe en effet aussitôt qui s’approche de son cercle, donne à tout couleur et proportions romaines. La couleur est sévère et sombre, la proportion colossale : les thermes de Caracalla, le Colisée, le môle d’Hadrien ! Florence elle-même, le génie de la grâce et de la mesure, se laisse détourner par elle vers cette voie de la force, du surhumain : témoin Michel-Ange. Comme elle eut des empereurs syriens, elle aura des papes espagnols, après les Héliogabale, les Borgia. Lucrèce connut-elle à cette époque l’ami futur de cette noble Victoria Colonna, son antitype ? Quoi qu’il en soit, c’est sous l’impression des événemens que nous venons de raconter que le jeune artiste travaillait à la célèbre Pietà, qui fut son premier succès. Cette œuvre de début, commandée par le cardinal La Groslaye, il la terminait juste au moment où le grand Bramante arrivait. Contemplez ce groupe d’un idéal si ému, si