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faiblesse ; ne sont-ce pas encore les demi-mesures qui nous ont perdus ? nous avons rassemblé 180,000 hommes pour ne rien faire. »

On sait le reste. Frédéric-Guillaume III poussa si bien le temps avec l’épaule que Napoléon eut le loisir d’écraser l’Autriche et la Russie à Austerlitz, et que le comte Haugwitz, expédié de Berlin pour lui signifier une sommation, n’eut garde de s’acquitter de son message et revint de Schœnbrunn en rapportant à son maître un traité d’alliance offensive et défensive avec la France, dont le prix était le Hanovre. Le roi trouva bon ce que son ministre avait fait, et, par raison d’économie, il s’empressa de remettre son armée sur le pied de paix. Cette défaillance et ce revirement produisirent dans toute l’Europe une vive sensation. C’est à ce sujet que Joseph de Maistre écrivait de Saint-Pétersbourg « qu’il fallait acheter la Prusse tout uniment comme on achète le travail d’un ouvrier. » — « La Prusse, disait Fox au baron Jacobi, se rend complice des oppressions auxquelles se livre Bonaparte ; il est impossible de regarder ces sortes d’échanges autrement que comme des voleries. » Et le 25 avril 1806, ce même Fox s’écriait dans le parlement : « La Hollande et d’autres puissances ont été contraintes par la peur à faire des cessions de territoire à la France, mais aucune autre puissance que la Prusse n’a été poussée par la peur à commettre des vols ou des spoliations sur ses voisins, to commit robberies or spoliations on its neighbours. C’est par là que la maison de Brandenbourg se distingue de toutes les autres. Nous ne pouvons nous empêcher de regarder avec quelque pitié mêlée à beaucoup de mépris’ une monarchie qui peut alléguer qu’elle en est réduite à de pareilles nécessités. C’est l’union de tout ce qu’il y a de méprisable dans la servilité avec tout ce qui est odieux dans la rapacité. »

Les inconséquences de la politique prussienne n’avaient pas seulement pour effet de révolter l’Europe, elles encourageaient Napoléon à tout oser, à tout se permettre avec le cabinet de Berlin, qu’il renonçait de plus en plus à ménager. Comme le comte de Goltz l’écrivait à Hardenberg, le vainqueur d’Austerlitz « n’avait offert à la Prusse l’appât de l’acquisition du Hanovre que pour la perdre en la brouillant avec ses meilleurs amis. » Frédéric-Guillaume III avait ratifié le traité, mais avec des réserves ; il ne désespérait pas d’obtenir davantage ou tout au moins de pouvoir acquérir le Hanovre sans se dessaisir de la principauté d’Ansbach, et il écrivait à Napoléon : « Je souffre de devoir sacrifier une province qui fut le berceau de ma famille… et qui enfin sous le rapport des intérêts réels et des affections m’est également précieuse. » Napoléon profitait de ses hésitations pour rendre le traité plus onéreux, et la Prusse n’obtenait plus le Hanovre qu’à la condition de fermer aux Anglais les bouches du Weser et de l’Elbe ; c’était se mettre en guerre avec eux, et en peu de temps ils lui capturèrent plusieurs centaines de